Par Michel Dufour
Date de publication originale : 1952 (Alfred A Knopf)
Date de publication française : 2013 (Gallmeister)
Genres : Enquête
Personnages principaux : Lew Archer, détective privé
J’aime bien, de temps en temps, me payer un petit trip rétro. Cette fois-ci, malgré les apparences, ce n’est pas la véritable raison. C’est ma libraire qui m’a fortement suggéré cette nouvelle édition de Gallmeister, surtout à cause d’une traduction remarquable. Et puis, même si ce genre de polars ne m’a jamais captivé, le New York Times prétend que Macdonald a amené au zénith le détective privé américain « immortalisé par Hammett et peaufiné par Chandler ». Michael Connelly dit que « Ross Macdonald est tout simplement l’un des meilleurs ». Paul Auster déclare que c’est « le dernier grand du roman policier américain ». Le Point se montre dithyrambique : « Intrigue en béton armé, construction parfaite, langue soignée. Les flatteurs ne s’y trompent pas : Macdonald est une étoile ». Enfin, on se souviendra peut-être que le détective Lew Archer a été joué deux fois à l’écran par Paul Newman.
J’avoue que ça faisait longtemps qu’un polar m’avait autant ennuyé. Même en me plaçant d’un point de vue historique, je n’y ai vu que peu d’intérêt : intrigue artificielle, construction simpliste, décor sale et froid, détective très quelconque. Ça m’a donné la nostalgie des Nero Wolfe de Rex Stout, génial, ou de l’ingénieux John Dickson Carr. Alors qu’avec Macdonald, on songe plutôt à Mickey Spillane, qui disait de lui : « Je ne suis pas un écrivain; je suis un homme qui écrit des livres qui se vendent! ».
Ross Macdonald est né en 1915 en Californie, a grandi au Canada, est retourné aux États-Unis pour s’installer. Officier de marine dans le Pacifique, il fait connaître Lew Archer en 1949 dans La Cible mouvante, après l’avoir créé dans la nouvelle Find the woman en 46. Archer a son bureau à Los Angeles, travaille sur la côte entre les milieux pauvres et les riches profiteurs. Peu impressionné par le système de justice américain, Macdonald flirte souvent avec la gauche et affiche un parti pris pour les démunis. Inspiré par sa propre expérience de fils, puis de père, il ancre plusieurs de ses drames dans des histoires de famille et d’argent. Il meurt à Santa Barbara en 1983.
Dans Le Sourire d’ivoire, Archer est engagé pour retrouver une jeune femme, la suivre, et déterminer où elle loge. Il finit par la retrouver égorgée. Reconstituant son itinéraire, Archer enquête auprès du docteur Benning et de sa femme, jeune, séduisante et entreprenante. Interrogeant tous ceux qu’il rencontre, Archer se retrouve mêlé à la disparition de Charles Singleton pour qui est offert une récompense de 5 000$ à qui le retrouvera. Les chemins de l’enquêteur magouilleur Heiss et du policier fatigué Brake croisent celui de Archer. Les démarches de Archer l’amènent à découvrir le mafieux Durano, devenu fou mais très rentable pour sa sœur. Et les morts se succèdent. Archer continue d’interroger et d’avoir des intuitions. Celui qui a échappé aux tueries est probablement le grand coupable. Ce n’est pas mal traduit, même si je n’ai pas compris plusieurs expressions (par exemple : le visage de la conductrice claqua dans les phares venant dans l’autre sens). Les métaphores sont pour le moins déroutantes : « La route gravit des versants de collines en larges terrasses comme les degrés faciles d’un purgatoire fabriqué de main d’homme ». Ou encore : « Lorsque la vague de son auto-apitoiement eut (sic) reflué, elle poursuivit ». Ce qui est lassant, surtout, c’est la façon dont l’enquête se déroule et dont les informations se livrent : une entrevue, suivie d’une autre entrevue, un petit bout d’auto sur les routes californiennes, une autre entrevue, suivie d’une autre entrevue. L’enchaînement des informations finit par constituer un ensemble complexe, et probablement cohérent. Mais le processus est tellement monotone qu’on se dit que le lecteur doit accrocher à quelque chose que je n’ai pas vu. Dans l’opéra italien, on sait bien que le spectateur se désintéresse complètement de l’intrigue pour focaliser exclusivement sur les voix. Mais ici, il faut focaliser sur quoi?
Extrait :
– Il y a d’abord deux ou trois points que j’aimerais éclaircir.
– Comment ça?
La douleur qui l’accablait quelque part derrière sa langue y imprima un tour vicieux.
– Vous m’avez menti une fois ce matin, au sujet du vol de bijoux. Il est possible que vous m’ayez menti deux fois.
– Vous me traitez de menteuse?
– Je vous pose la question.
– Vous lui avez parlé?
– Pas exactement. Vous pensez que c’est ce que j’aurais appris si je lui avais parlé? Que vous êtes une menteuse?
– Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, je n’aime pas ça. Je vous ai expliqué pourquoi je voulais faire suivre Lucy.
– Pas du premier coup.
– Pas du premier coup, c’est vrai.
– Et vous ne m’en avez pas dit lourd.
– Pourquoi aurais-je dû le faire? J’ai le droit de protéger ma vie privée.
– Vous l’aviez ce matin. Plus maintenant.
Bob Welch – Sentimental Lady
Tous les vieux machins ne sont pas bons c’est certain !
J’espère que ce n’est pas moi que tu vises!
😉