Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2013 (Rouergue noir)
Genres : Enquête, scientifique
Personnages principaux : Capitaine Anato, lieutenant Vacaresse, lieutenant Girbal, officiers de gendarmerie à Cayenne (Guyane).
La station scientifique de Japigny est située en pleine forêt amazonienne française, en Guyane. Là des scientifiques du CNRS[1] y étudient les plantes, les animaux, les oiseaux, les insectes. Un chercheur, spécialiste des oiseaux, a disparu. La gendarmerie de Cayenne se lance à sa recherche. Les gendarmes sont guidés par le bruit d’un bâton frappé contre un arbre spécial : le bois cathédrale. Cette technique de survie permet de se faire repérer de loin lorsqu’on est perdu. Les gendarmes ont la surprise de découvrir le cadavre du scientifique dans un trou dissimulé au milieu des arbres. Qui a bien pu les guider jusque là ? Les Garimperos sont des orpailleurs clandestins qui dévastent la forêt à la recherche du métal précieux. Ils sont aussitôt soupçonnés d’avoir assassiné le scientifique. Un témoignage d’un de ces clandestins confirme leur culpabilité. Un autre chercheur va être assassiné par un garimpeiro dissident. Tout cela tombe particulièrement mal au moment où débarque un haut fonctionnaire de la Cour des Comptes pour faire un audit sur la rentabilité de la station Japigny. Un autre évènement étrange s’est produit : un albatros à sourcils noirs, un oiseau des terres australes, a été retrouvé mort sur une plage de Cayenne. C’est une découverte étonnante, jamais un tel oiseau n’aurait dû s’échouer si loin des océans du sud où il vit habituellement. Or le grand spécialiste des oiseaux n’est autre que le scientifique qui a été tué en pleine forêt. Les deux évènements sont-ils liés ? L’enquête est dirigé par le capitaine de gendarmerie Anoto assisté par ses deux principaux collaborateurs, très dissemblables, les lieutenants Vacaresse et Girbal.
C’est un polar original par le cadre dans lequel il se situe : la Guyane, la forêt amazonienne et par le milieu : celui des chercheurs scientifiques du CNRS. Au passage nous en apprenons beaucoup sur l’écosystème de l’Amazonie, sur les destructions engendrées par l’exploitation minière illégale et sur la vie misérable de pauvres bougres venus du Brésil ou du Suriname pour se faire embaucher sur les chantiers clandestins. Nous découvrons les astuces pour photographier le tapir. On nous explique ce qu’ont de remarquable l’albatros à sourcils noirs et la grenouille arboricole, Trachycephalus hadroceps, qui vit dans des trous à la cime des arbres et ne pose jamais les pattes sur le sol. Si nous nous instruisons en lisant, ce roman n’est pas un cours des sciences de la terre, tout cela nous est rapporté dans le cadre d’une enquête captivante avec ce qu’il faut de fausses pistes et de retournements, éléments d’une intrigue bien élaborée.
Les personnages sont attachants. Le capitaine Anato est un bel homme. C’est un Ndjuka, un noir-marron aux yeux étranges, entre le jaune et le marron, qui font beaucoup d’effet sur la population féminine. Mais ses conquêtes le laissent insatisfait, il est incapable de se fixer, ses aventures sont toujours de courte durée. C’est un homme intelligent qui a redoré le blason de la gendarmerie en Guyane. Un problème avec sa famille et ses origines le taraude, surtout quand il apprend qu’il aurait un frère. Le lieutenant Vacaresse est le bras-droit d’Anato. C’est un enquêteur efficace. Il est buté, obstiné et ne lâche jamais une enquête avant sa résolution. Sa vie familiale est une catastrophe. Depuis qu’il a été obligé de quitter son domicile pour aller vivre dans un hôtel miteux, il enchaîne les missions sans aucun répit. Vacaresse n’aime pas la Guyane. Girbal, un autre lieutenant, est plus guyanais que certains Guyanais, passionné par cette Amazonie dont il avait rêvé toute sa jeunesse. Chaque fois qu’il le peut il va dans la forêt, pour ses missions mais aussi les week-ends en randonnée ou en kayak. L’affaire de l’albatros à sourcils noirs le passionne. Il est en couple avec une belle femme adepte de la chirurgie esthétique.
L’écriture claire et sobre permet aussi bien une lecture aisée que la compréhension des concepts scientifiques abordés.
Ce roman, original et foisonnant, est très intéressant, pas seulement pour ce qu’il nous apprend sur la Guyane et sur la communauté des scientifiques mais aussi par pour son intrigue bien élaborée et par la mise en scène de personnages crédibles et bien campés. C’est une réussite et un coup de cœur pour moi.
Colin Niel est ingénieur en environnement, spécialisé dans la préservation de la biodiversité. Il a travaillé en Guyane durant plusieurs années. Il est l’auteur d’un autre roman Les Hamacs de carton.
Extrait :
Anato se passa le pouce sur la tempe. Le raisonnement devenait trop pointu, il avait décroché, fermé un oeil sans s’en rendre compte. Il se souvint de la nuit dernière : deux heures de sommeil.
– Pour faire simple, abrégea-t-elle, on résume souvent cette théorie de l’auto-organisation par la phrase suivante : le tout est plus que la somme de ses parties.
Le tout est plus que la somme de ses parties. Le capitaine nota la formule, synthèse minimaliste de la pensée du chercheur Feuerstein. Obscure, inaccessible. La directrice le regarda dans les yeux : sourire d’indulgence, si appuyé qu’il froissa son fond de teint. Les dessins qu’elle traçait inconsciemment de son stylo avaient fini par prendre des formes arrondies. Des algues, peut-être.
La chaîne hi-fi dernier modèle du fonctionnaire diffusait un tube de Jocelyne Labylle et
Cheela :
– On dit que c’est toi le miel des hommes en soirée… Et alors ?…
On dit que tes fringues c’est du prêt à prêter… Et alors ?… On dit que
c’est toi la pétasse du quartier… On s’en fout !
Passi – Jocelyne Labille – Cheela – Laisse parler les gens
Ma note : (4,5 / 5)
Coup de cœur
Tout à fait intéressant en effet tant par la problématique que par le contexte.
C’est un livre bien fait et dépaysant que je t’engage à lire.