Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2013 (Respirar por la herida)
Date de publication française : 2013 (Actes Sud)
Genre : roman noir
Personnages principaux : Eduardo Quintana, peintre – Arthur Fernández, chauffard meurtrier … entre autres
Eduardo était un peintre autrefois reconnu pour son talent. Maintenant c’est un homme alcoolique et désabusé qui survit en accomplissant des portraits anonymes que son amie galeriste expose dans les grandes surfaces. Il vient de purger 14 ans de prison pour avoir abattu le chauffard qui a tué sa femme et sa fille. Son train-train quotidien est bouleversé quand son amie galeriste lui fait une étrange commande : une cliente souhaite qu’il réalise le portrait d’un homme qui n’est autre que le conducteur ivre qui a écrasé son fils. À travers ce portrait elle espère connaître le fond de l’âme de l’assassin de son enfant. Arthur est ce chauffard meurtrier, il vient d’être libéré de prison. Il accepte de se prêter à cette singulière demande d’être portraituré. Ce n’est que le début d’une histoire à multiples facettes dans laquelle de nombreux personnages, n’ayant apparemment aucun lien entre eux, vont intervenir. Au fil du récit, ce qui unit les différents protagonistes apparaît peu à peu, bien loin des apparences, pour former la trame d’un drame complexe.
Le début du roman avance à un rythme lent. L’auteur prend beaucoup de temps pour présenter les nombreux personnages de cette histoire. Le rôle de chacun n’est pas évident d’entrée, il faut progresser dans la lecture pour comprendre les relations qui existent entre les divers personnages et les faits relatés. Les rôles secondaires sont nombreux, surtout les féminins : Graciela, Sara, Olga, Gloria, Andrea, Martine, Maribel, Elena, Mei … On s’y perd un peu : quand on lâche le livre un soir pour le reprendre le lendemain on a un peu de mal à se resynchroniser sur l’histoire et situer tous ces personnages. Une fois que l’on a compris la position de chacun, il faut aussi saisir l’enchainement des évènements. Il y a deux accidents de la route : Celui qui a frappé la famille d’Eduardo dans lequel sa femme et sa filles sont mortes et celui provoqué par Arthur qui a fait aussi deux morts. Apparemment ces deux accidents sont totalement indépendants. Une fois assimilés les rôles et les évènements passés, on peut admirer avec quelle astuce l’auteur a monté une intrigue complexe qui ne se dévoile que progressivement.
Les personnages sont complexes, en proie à des sentiments contradictoires. Certains d’entre eux sont animés par le désir de vengeance. D’autres attendent simplement un peu d’amour. Seulement deux personnages sont forts et sans ambiguïté : Ibrahim, l’Algérien défiguré par un membre de l’OAS pendant la guerre d’Algérie et Guzmán ancien tortionnaire de la police de Pinochet et lui-même torturé, au Chili. Ibrahim aime depuis son adolescence la femme que le hasard va remettre sur son chemin. Il a des principes et une certaine droiture, mais il n’hésitera à faire ce qu’il faut pour pouvoir vivre avec la femme de sa vie. Guzmán est maintenant un mercenaire efficace qui n’a jamais d’état d’âme. Il obtient toujours les réponses aux questions qu’il pose et il mène chaque fois les affaires jusqu’au bout.
D’entrée on est frappé par la qualité de l’écriture (et de la traduction). L’auteur réussit parfaitement à installer une atmosphère lourde, un peu empoisonnée, qui laisse présager une tragédie à venir.
La maison des chagrins est un roman noir, complexe, touffu, avec une intrigue méticuleusement élaborée qui demande toute l’attention du lecteur pour pleinement l’apprécier.
Extrait :
Les yeux d’Arthur étaient flous. Quand on les regardait à contre-jour, ils prenaient un ton verdâtre. Olga suivit du doigt le contour de ses pupilles et sentit sous la peinture la froideur d’un fleuve sur un fond de pierres moussues. Elle écarta la main, efrrayée. Mais les yeux du portrait la suivaient. Eduardo avait fait du beau travail, en à peine quatre mois il avait réussi ce que voulait Gloria, une radiographie de l’intérieur de l’homme qui avait tué son fils. Ses traits décrivaient ce que personne d’autre n’aurait été capable de réussir en si peu de temps. Et pourtant, quand Eduardo avait remis la toile à Olga trois jours auparavant, il ne semblait ni ravi ni satisfait du résultat.
Plus personne n’écoutait Charles Aznavour. Mourir d’aimer. Il se rappelait sa mère, assise devant le tourne-disque, les rideaux tirés, les doigts crispés sur un mouchoir froissé.
Les parois de ma vie sont lisses
Je m’y accroche mais je glisse
Lentement vers ma destinée
Mourir d’aimer
Charles Aznavour – Mourir d’aimer