Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2014 (Druide)
Genres : Enquête, suspense
Personnages principaux : M Graham, B Sioui,
F Pagliaro
C’est un très grand coup que vient de réaliser Richard Migneault, éducateur par profession, blogueur par passion (Polar, noir et blanc) : réunir et convaincre seize des meilleurs auteurs de romans policiers québécois d’écrire une nouvelle sur le thème d’un crime commis dans une librairie. Chaque nouvelle est suivie d’une courte biobibliographie de l’auteur, rédigée par Migneault. Coup de chapeau également aux éditions Druide pour avoir endossé ce projet.
Belle occasion pour le lecteur de découvrir rapidement un écrivain moins connu ou de voir un de ses auteurs préférés se permettre une petite digression. On retrouve ainsi l’angoissant Senécal, le ludique Michaud qui aime jouer au chat et à la souris avec son lecteur, l’impitoyable Bolduc qui tourne son fer dans les plaies de l’histoire, Bouthillette le sophistiqué, l’étonnant Côté engagé dans un combat peu habituel, André Jacques au style explosif, Brouillet ou Graham, on ne sait plus, l’audacieux Meunier qui met Norbert Spehner[1] dans de beaux draps, Seymour qui, en passant, livre un bel hommage au libraire Henri Tranquille[2] , Ste-Marie dont le sergent-détective Pagliaro lit Les Données immédiates de la conscience de Bergson. D’autres écrivent plus rarement, ou pour des publics différents (littérature jeunesse..), ou surtout des nouvelles; je les connais moins et j’ai eu de belles surprises : Geneviève Lefebvre avait obtenu le prix Coup de cœur, l’an passé, à Saint-Pacôme (La vie comme avec toi); surprenant de la voir plonger en plein règlement de comptes mafieux; Bouchard écrit beaucoup, mais pas nécessairement pour les polarophiles; dans sa nouvelle, il s’amuse avec élégance et efficacité. J’ai apprécié, l’an passé, un roman psychosociologique de Meney (Rivages hostiles); sa nouvelle policière, fort bien écrite, constitue une sorte de puzzle littéraire pour initiés ludiques. Enfin, trois nouvelles de qualité d’auteurs que je ne connaissais pas : le drôle et habile Soulières, (qui écrit habituellement des polars pour la jeunesse); l’intrigante Latulippe, si naïve jusque dans son nom, si perverse pourtant; et, enfin, comme elle se définit elle-même, « auteure de roman fantastique noir horrifique à saveur québécoise », une Ariane Gélinas qui pourrait finir par dépasser Senécal sur sa gauche.
Je suis bien conscient que le paragraphe précédent est assez fastidieux. J’ai voulu dégager quelques pistes susceptibles de vous intéresser. En général, le genre ‘nouvelles’ ne m’attire pas beaucoup, sauf les Conan Doyle et les Poe. Autrement, pas plus les Agatha Christie que les Maupassant. Dans ce cas-ci, l’événement était important à souligner; de plus, cependant, j’avoue que je me suis laissé prendre au jeu. C’est certain que, en 20 pages, un auteur n’a pas le temps de prendre son envol. N’empêche que d’habiles écrivains peuvent produire dans un petit texte une grande émotion. Comme une miniature aux échecs; ou une aquarelle; ou un bonsaï. D’autant plus que les briques de 700 pages me séduisent rarement. Dans les cas qui nous occupent ici, je n’ai pas eu le temps de m’ennuyer. C’est vrai que Migneault avait convoqué de très bons écrivains.
Pour des raisons fort diverses et sans souci d’objectivité, mes nouvelles préférées ont été : Latulippe, Le libraire et l’enfant; Michaud, Une longue vie tranquille; Soulières, Un cadavre au Crépuscule; Meunier, L’homme qui détestait les livres; et Bouchard, Rouge tranchant.
[1] Norbert Spehner est au Québec La référence en matière de polars. Il prépare actuellement une sorte d’encyclopédie qui fera du bruit.
[2] Qui a stimulé avec passion et orienté avec précision bien de jeunes lecteurs dans les années 60.
Extrait :
Ma cible est un type dans la quarantaine qui fixe l’appareil photo sans sourire. Il paraît découvrir l’objectif au moment précis du déclic. Il a le visage étroit, le cheveu rare, les yeux ronds − mais c’est peut-être l’étonnement −, le nez mince, les lèvres rayées − mais ça, c’est l’imprimante…
− Où je peux le trouver, ce Michel?
− À la librairie Rouge tranchant.
Le vieux fait une moue en agitant la cigarette devant lui et ses sent obligé de préciser :
− C’est parce qu’elle est spécialisée en romans policiers, la librairie, qu’elle s’appelle comme ça. C’est un jeu de mots entre le tranchant d’un couteau et celui d’un livre, vous voyez?
Et, avec les doigts joints, il agite une main de haut en bas pour dessiner une ligne dans l’air. Le bout rouge de sa cigarette exprime tr`s bien son idée. Mais c’est sans que le vieux l’ait fait exprès. Il ajoute en grimaçant comme on sourit :
− Tuer un gars dans une boutique où on vend des romans policiers, ça fait cohérent.
− Et celui qui bat votre fille, là, son mari, c’est le libraire?
− Tous des salauds!
Je ne sais pas s’il parle des libraires, des maris ou des hommes en général, mais je me dis que, au fond, je m’en sacre. J’ai la photo, l’endroit où trouver la cible, je n’ai pas besoin de plus de détails.
− Ça va. Refilez-moi le foin. Je m’occupe de ce Michel. Mais je veux mille dollars de plus, ici, après-demain, à la même heure.
− Merci, fait-il, les yeux larmoyants (mais c’est peut-être à cause de la fumée de cigarette), avant de fouiller de nouveau dans son manteau.
Je prends l’enveloppe. Un élastique l’entoure, car elle est trop épaisse pour le rabat. Elle doit bien faire ses deux cent cinquante billets. Cependant, je n’ai pas envie de commencer à les dénombrer ici, surtout qu’une bande de promeneuses avec des marmots en laisse viennent d’apparaître sur la piste menant à notre coin du parc.
− Je compterai plus tard. Si le total n’y est pas, je garde le tout et tant pis pour votre fille.
− Je ne suis pas un voleur! Réplique le vieux, presque offensé.
− Non. Juste un tueur[3].
Quel super article!! On se sent tellement encouragés a créer plus, a se dépasser! Merci!
C’est à moi de vous remercier: vos oeuvres sont notre plaisir.
Merci Michel pour cette recension !
C’est un immense plaisir et un honneur de voir son travail, reconnu par des personnes comme toi, passionné du genre et lecteur émérite.
Si tu me le permets, je reprendrai ton texte sur mon blogue … !
En toute amitié
Richard
Mon cher Richard,
c’est un immense cadeau que tu as fait à tous les amateurs (au sens fort) de romans policiers. J’espère que Raymond et moi contribuerons, par nos modestes moyens, à faire connaître Crimes à la librairie et plusieurs auteurs québécois de talent à des publics européens.
Sois assuré de ma reconnaissance,
Michel