Par Michel Dufour
Date de publication originale : 1914 (The Wisdom of Father Brown)
Date de publication française : 2014 (Omnibus)
Genre : Détection d’énigmes
Personnage principal : Père Brown
« À vous voir, tout le monde pourrait penser que la famine règne en Angleterre.
À vous voir, tout le monde pourrait penser que c’est vous qui en êtes la cause. »
De Chesterton à Shaw, et réciproquement
Belle initiative des Éditions Omnibus d’avoir réédité plusieurs traductions récentes d’auteurs classiques, dont cette Sagesse du Père Brown de Gilbert Keith Chesterton, un des premiers de la série des Enquêtes du Père Brown (1911-1936). Dans un format agréable à manipuler, peu dispendieux, on trouve actuellement un Dashiell Hammett, un Ellery Queen, un Mickey Spillane, et quelques autres.
Chesterton (1874-1936) est un auteur prolifique et une personnalité remarquable. Physiquement impressionnant (presque deux mètres et plus de 130 kg), il était redouté surtout pour son ironie et son esprit paradoxal, ce qui le servait bien dans son métier de journaliste critique (arts et littérature). Dans les débats, il se faisait les dents avec GB Shaw, son frère ennemi, et n’hésitait pas à croiser le fer avec HG Wells et Bertrand Russell; et il s’était opposé au projet de stérilisation obligatoire des handicapés mentaux de Churchill.
Chesterton écrivait tout le temps : des pièces de théâtre, des centaines de poèmes et nouvelles, des milliers d’articles, des biographies (dont une célèbre sur Dickens), d’autres sur Blake, Browning, Stevenson, saint François et Thomas d’Aquin. Il se convertit au catholicisme en 1922 et ajouta quelques essais apologétiques à son œuvre déjà abondante.
En 1928, il devient le premier président du Detective Club et côtoie des auteurs qui l’apprécient : Agatha Christie, Dorothy Sayers et John Dickson Carr, qui s’inspire de lui pour créer son personnage de Gedeon Fell.
Bref, Chesterton c’est toute une époque : l’Angleterre glorieuse malgré Jack l’Éventreur et la Guerre des Boers ! Il arrive encore aujourd’hui qu’on se réfère à lui : ainsi, en décembre dernier, le Pape François le citait : « L’hérésie est une vérité devenue folle ! »
La sagesse du Père Brown est un ensemble de douze nouvelles policières de 15 à 20 pages chacune. L’action se passe la plupart du temps en Angleterre, mais on se retrouve parfois en France, en Italie ou aux États-Unis. Le plan est simple : un événement bizarre se produit; les témoins se perdent en explications insuffisantes; le Père Brown, souvent sur les lieux par hasard avec son ami Flambeau, décrypte l’énigme. Brown utilise la méthode paradoxale : allant à l’encontre de ce qui semble évident pour tout le monde, il propose une solution qui change complètement le sens de la situation et a le mérite de rendre compte de chacun de ses aspects.
Très bien écrit et, j’oserais dire, même si je n’ai pas consulté le texte anglais, la traduction me semble impeccable. Mais, on n’entre pas là-dedans comme dans un moulin. D’abord, les thématiques ne nous sont pas tellement familières, par exemple : les malédictions dont ont hérité les vieilles familles anglaises aristocratiques, les bandits des grands chemins italiens dignes des Brigands d’Offenbach. Puis, Brown est bien sympathique mais pas assez charismatique (comme Holmes ou Poirot) pour soutenir à lui seul notre intérêt quel que soit le contexte. Par ailleurs, une grande partie des indices dont se sert le Père Brown est d’ordre visuel; dans un film, ça serait plus juste pour le spectateur-détective, alors que le lecteur est plutôt frustré. Aussi, peut-être parce que, culturellement, les personnages ne nous sont pas familiers, ils nous apparaissent comme mal définis. Enfin, si on échappe à l’enchantement des descriptions colorées qui caractérisent les paysages romantiques pas encore contaminées par l’industrialisme britannique, on aura l’impression que les énigmes se réduisent à des sortes de devinettes.
Les exigences de l’époque, surtout en matière de nouvelles policières, favorisaient probablement des critères moins privilégiés aujourd’hui. Comme le disait lui-même Chesterton : « On se trompe quand on suppose que notre intérêt pour l’intrigue est d’ordre mécanique, alors qu’en réalité il est d’ordre moral. »
Cela dit, une nouvelle comme L’absence de Mr Glass est un petit chef-d’œuvre. Et une première série produite par la BBC a connu suffisamment de succès pour qu’une deuxième saison soit envisageable.
Même si j’ai eu quelque difficulté à embarquer dans plusieurs nouvelles et que l’émotion fut rarement au rendez-vous, il n’empêche que, en sourdine, opèrait toujours le charme pas toujours discret de l’aristocratie déclinante.
Extrait :
Le grand Muscari, jeune poète toscan des plus originaux, entra, tout fringant, dans son restaurant favori, une terrasse couverte entourée d’orangers et de citronniers nains qui donnait sur la Méditerranée. Bien qu’il soit encore tôt, les garçons en tablier blanc avaient commencé à disposer sur les nappes blanches les attributs d’un déjeuner raffiné, et cela paraissait accroître encore son contentement qui frisait déjà des sommets de suffisance. Muscari avait le nez aquilin, comme Dante. Il était tout de noir vêtu, et avec sa cravate et ses cheveux noirs, flottant au vent, il aurait aussi bien pu porter un masque noir tant il émanait de sa personne une atmosphère de mélodrame vénitien.
Eh bien dites donc les gars quel grand écart! « La sagesse du père Brown » qui suit « Dawa » c’est pas du tout dans le même genre. J’avais déjà remarqué des articles de styles complètement différents sans avoir noté qu’il y a 2 chroniqueurs. Je vois que vous n’avez pas du tout les mêmes goûts ce qui doit venir d’une différence d’âge importante. C’est bien tout le monde peut trouver des livres selon son gout.
Ray est un peu plus jeune (moins vieux?) que moi, mais ç’est insuffisant pour expliquer nos différences de territoires. Nous sommes complémentaires, en effet, un peu par hasard. Par contre, nos principales valeurs sont les mêmes: respect de l’écrivain, honnêteté dans notre travail, communication claire (pas de langue de bois), indépendance par rapport aux écrivains ou aux maisons d’édition.
Merci de votre intérêt.