Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2013 ( La Courte Échelle)
Genres : Roman très noir, psychopathologie
Personnage principal : le garçon
En mai 2013, j’avais rendu compte du roman La Fonction d’André Marois. J’avais trouvé le roman plutôt moyen, ce qui me mettait un peu mal à l’aise parce que je sais que Marois peut faire beaucoup mieux. Je me reprends donc aujourd’hui avec ce 10 ans, pas méchant, une plaquette de 72 pages, remarquable par sa finesse et sa densité.
Un garçon de dix ans raconte de façon simple et ingénue une brève tranche de sa vie : à l’école avec ses camarades et ses professeurs, en famille avec sa sœur et sa mère (qui gagne sa vie en organisant des rencontres Tupperware). Très actif, d’autres diraient agité, il n’arrête pas de penser, de mijoter une mauvaise plaisanterie, d’autres diraient un mauvais coup, et la distance entre l’idée et sa réalisation est très courte : pousser son ami François dans un buisson de ronces, lancer des œufs sur la tête des vieux, saboter les cordes à linge, dévisser la chaise du prof, pincer et donner des coups de pied à sa petite sœur, et j’en passe quelques-uns beaucoup moins innocents.
Marois nous fait entrer dans la tête du garçon : pas besoin d’être d’accord avec lui pour le comprendre, c’est-à-dire pour reconnaître cette pulsion de mort à l’œuvre bien innocemment, si je puis dire. Le garçon n’essaie pas de justifier ses actes, sinon par le fait que, quand il les accomplit, il se sent mieux. Or, n’est-ce pas ce que nous souhaitons tous : se sentir bien après avoir commis un acte?
Il n’est d’ailleurs pas imperméable au regard d’autrui : il n’aime pas la colère de sa mère parce qu’elle lui fait peur et qu’il aime mieux l’avoir de son côté. Il ne désire pas que ses copains se sauvent de lui comme d’un malade parce qu’il craint la solitude et aime jouer avec eux, même s’il ne peut pas toujours s’empêcher de leur faire mal. « C’est plus fort que moi. Quand je vois une chose, n’importe laquelle, je me demande si je peux la casser. »
Il arrive que les effets de ses plaisanteries dépassent en malheur ses prévisions. La culpabilité le gagne pour un temps. Il suffit, cependant, d’une bonne nuit de sommeil pour que tout rentre dans l’ordre : le naturel revient au galop; la culpabilité régresse au profit des sentiments habituels qui gèrent l’existence de notre sociopathe en puissance.
Au fond, malgré la répugnance normale que nous inspire ce garçon sans nom, Marois nous fait sentir qu’il exprime une réalité qui nous habite nous aussi. Le jeune se demande s’il est vraiment méchant; admet sans trop de réticence qu’il aime sa sœur et sa mère; s’entendait bien avec son père, dont il déplore la mort : « Quand on est mort, c’est pour la vie ». Et il raconte le côté obscur de sa vie avec une telle candeur ! Comme si, au-delà de sa délinquance, nous sentions son humanité.
Ce qui est admirable, c’est que l’écriture de Marois a su rendre attachant un gamin qui a presque tout pour se faire haïr.
Extrait :
J’ai des héros dans la vie, mais ils ne sont jamais gentils. Je préfère les méchants. S’il n’y avait pas de méchants, les gentils héros s’ennuieraient. Les uns ont besoin des autres.
Je trouve que les histoires qui finissent trop bien sont ennuyantes. J’ai compris depuis longtemps que les auteurs font des fins heureuses pour nous rassurer. Pour nous faire plaisir. Mais si on n’a jamais de surprise, c’est raté.
Quand je prépare un de mes coups, je veux que ça finisse mal pour quelqu’un. Alors, pour moi, ça sera bien (…)
Dans les aventures de Zorro, j’aime le commandant Monastorio. Il fait peur aux soldats, aux paysans, aux femmes (…) Zorro ne peut pas changer grand-chose à ce qui arrive. Il court avec son cheval noir, il sort son épée, et c’est tout.
J’aime bien aussi Rastapopoulos dans Tintin. Et Olrik dans Blake et Mortimer.
Ils sont toujours là pour faire des mauvais coups. Ils ont plus d’imagination que les gentils qui se battent contre eux. Ça fait de meilleures histoires.
Les méchants ont de bonnes têtes aussi.
Moi, je veux devenir un vrai méchant quand je serai grand.
J’aurai mon émission à la télé, qui fera peur à tout le monde, et quand un épisode sera terminé, j’irai me reposer à la campagne en me relaxant avec ma femme et mes enfants.