Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2014 (Coups de tête)
Genres : roman noir, cynique
Personnage principal : directeur adjoint en probation de la Banque du Québec (BQ)
Ce n’est pas à François Barcelo qu’on va apprendre à raconter une bonne histoire. Né à Montréal en 1941, doté d’une maîtrise en littérature française (Université de Montréal), ayant travaillé quelques années dans le domaine de la publicité, Barcelo, qui a toujours eu du plaisir à écrire, a commencé à publier au début des années 80 et s’est consacré complètement à l’écriture à partir des années 88 : une soixantaine de romans, un peu plus pour adultes que pour la jeunesse, des nouvelles, des essais. Pour les adultes, souvent des romans plutôt noirs non dépourvus d’humour; pour les jeunes, des aventures rocambolesques; pour les tout-petits, de gentilles initiations au plaisir de lire.
Avec L’Ennui est une femme à barbe (2002) et Chroniques de Saint-Placide de Ramsay (2008), Barcelo s’est classé finaliste pour le prix du roman policier de Saint-Pacôme. Distinction intéressante : en 1998, son roman Cadavres est devenu le premier roman québécois à être publié dans la Série noire de Gallimard. Érik Canuel en a fait un film dix ans plus tard.
J’haïs les Anglais est le quatrième roman de la tétralogie des Détestations, après J’haïs le hockey, les bébés et les vieux. Depuis 2007, les éditions Coups de tête publient bon nombre de romans marginaux ou d’auteurs méconnus, l’objectif étant de brasser la cage (Michel Vézina). Barcelo rue sans doute moins dans les brancards, mais son originalité et sa fréquentation joyeuse des antihéros aux bonnes intentions qui déclenchent par mégarde des catastrophes hénaurmes, comme disait l’autre, lui taillent une place de choix auprès des Vézina, Chabin, Tremblay et les autres.
Dans le village de Sainte-Cécile-de-Bougainville (moins de 5 000 habitants), le directeur-adjoint en probation de la Banque du Québec risque de perdre son emploi à cause de l’implantation récente de la Trans-Continental Bank of Canada dans le bâtiment voisin : la BQ a déjà perdu 16% de ses clients et 28% de ses dépôts en neuf semaines. On va bientôt sabrer dans le personnel. C’est justement parce qu’il est conscient de sa vulnérabilité qu’il a décidé de faire l’achat d’une franchise de La Baraque à Poutine, une nouvelle chaîne de restauration qui mettra à son menu pas moins de 162 variétés de poutines. Il a déjà versé un acompte de 1 000$. Il lui reste à payer 50 000$ d’ici quelques jours, ce qui n’est rien par rapport au profit anticipé (par des experts) à 100 000$ la première année et 300 000$ la deuxième. Par contre, c’est beaucoup par rapport à son propre compte de banque qui est à sec. Sa propre banque et la TCBC ont refusé de lui prêter le 50 000$ en question.
Cette fâcheuse situation, si près du but, détermine son objectif à court terme, un vol de banque, et la cible de son vol, la responsable de sa perte d’emploi éventuelle : la TCBC. Cette cible est d’autant plus facile à fixer qu’il déteste déjà tout ce qui est anglais, et il vit comme une agression étrangère l’arrivée de cette banque canadienne en milieu québécois, quelque chose comme la déportation des Acadiens, la répression des rébellions de 1837-38, la Loi des mesures de guerre, les votes ethniques…
C’est donc très minutieusement qu’il monte son coup.
14h47 : et c’est parti !
On dirait, cependant, qu’il y a quelques grains de sable dans l’engrenage. Mais, il lui faut plus que ça pour se décourager. Son raisonnement n’est pas incorrect mais ses prémisses sont fallacieuses. Ses actes ne manquent pas de cohérence, mais leur orientation est déficiente, parce que sa compréhension de la situation est insuffisante. Nous comprenons tous cela parce que ça nous arrive fréquemment de partir d’une fausse prémisse ou de manquer d’information. Mais, dans le cas de notre directeur adjoint, les conséquences seront malheureusement fort déplaisantes. Il aurait pourtant suffi qu’un Australien parle français ! À la fin, un rebondissement qu’il est le seul à ne pas percevoir achève d’exposer la profondeur de sa naïveté et de susciter une certaine sympathie de notre part, comme on s’attache à un oiseau blessé, même gros.
A peine 100 pages et c’est tout un bon moment que nous fait vivre Barcelo. Façon habile de nous impliquer : on voit les choses et on les pense comme son personnage central, même s’il s’agit d’un pauvre mec, puisqu’on est dans sa tête et dans son corps. Peu importe le thème, on a l’impression que Barcelo nous embarquerait. Les critiques soulignent souvent l’importance de raconter une bonne histoire. Encore faut-il bien la raconter. C’est peut-être ça la grande force de Barcelo : c’est un grand conteur.
Extrait :
Ce sont des Anglais d’Australie, pas des Anglais d’Angleterre.
Ça ne change rien. Plus j’y pense, plus je constate que je déteste tous les Anglais. Sans faire de distinction entre les Britanniques, les Ontariens, les Texans ou les Australiens. S’ils parlent anglais sans être capables de s’exprimer dans un français compréhensible, je les haïs tous également. Sauf, bien entendu, lorsqu’ils restent chez eux. Un Néo-Zélandais qui parle anglais en Nouvelle-Zélande, je n’ai rien contre lui, comme il ne peut pas m’en vouloir de parler français au Québec.
Je ne suis même pas sûr de tellement haïr les Anglais. Je déteste seulement les Anglais qui sont ici et qui ne peuvent pas dire un mot de français. En contrepartie, je leur accorde le droit de me détester, moi, si j’ai le culot d’aller me balader en Écosse, en Nouvelle-Angleterre ou à Gibraltar avant d’avoir appris l’anglais. Ce que je n’ai aucune envie de faire : ni d’apprendre l’anglais ni voyager dans des pays où on parle anglais.