Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2014 (La Bourdonnaye)
Genres : suspense, amours
Personnages principaux : Jess, tenancière d’un snack – Le Gosse, ivrogne amoureux de Jess – Holly, camionneur
Jess est une belle blonde, tenancière d’un snack au mille 88 entre Tombstone et Nogales. C’est là que s’arrêtent bon nombre de chauffeurs routiers. Dans son entourage gravite le Gosse[1] , un jeune homme, gros consommateur de tequila, maltraité par presque tous parce qu’il est ivre la plupart du temps. Seul Holly, un gros bonhomme, qui ravitaille toute la région, est indulgent avec lui et le traite comme un fils. Et Bien sûr, il y a Jess. Sa Jessie dont il est éperdument amoureux. Il n’est pas peu fier d’être son unique confident. C’est à lui seul qu’elle a fait part de son angoisse, quand vient la nuit. Elle redoute de voir arriver au bout de la route une grosse Pontiac noire, venant de Blackstone. Il n’en sait pas plus mais ça lui suffit cette confiance qu’elle a en lui. Mais voilà que se pointe un nouveau chauffeur, Cooper, un roi du bitume qui fait les trajets plus vite que tous les autres. C’est aussi un rapide pour emballer les filles. Il a un chapeau de shérif et prend des poses avantageuses de cow-boy de cinéma pour impressionner Jessie. Et ça marche ! Jessie qui ne s’était jamais laissée approcher de trop près, se montre familière, et même plus avec Cooper. Elle l’appelle tendrement Coop. Le Gosse est très malheureux de voir un autre accaparer sa Jessie. D’autant plus que cette espèce de fanfaron prétend la protéger. De la protéger contre quoi ? Contre quatre mafiosi qui se pointent en Pontiac noire. Ils cherchent une chanteuse qui ressemble bigrement à Jessie. Toutes les craintes de Jess se concrétisent. En plus il y a cette grosse tempête qui se prépare depuis plusieurs jours. Une tempête qui devrait être terrible.
Les personnages sont atypiques. Le narrateur est le jeune homme, qu’on appelle le Gosse ou plus méchamment Tequila. Ce pochard se fait souvent botter les fesses, c’est un bon à rien qui picole beaucoup. Seuls Jess et son ami Holly le traitent bien. Il est dévoré par deux addictions : la tequila et Jess. Le Gosse éprouve un amour fou, sans contrepartie, si ce n’est un sourire ou un coup … un coup de tequila bien sûr ! Le rapport que le Gosse entretient avec Jessie fait penser aux paroles de Jacques Brel dans Ne me quitte pas : «Je me cacherai là / A te regarder / Danser et sourire / Et à t’écouter / Chanter et puis rire / Laisse-moi devenir / L’ombre de ton ombre / L’ombre de ta main / L’ombre de ton chien.». Le Gosse n’en demande pas plus.
Jess est mystérieuse. On ne sait pas d’où elle vient. Son anxiété, ses craintes, laissent envisager un passé tumultueux qui n’est pas soldé. La douce Jessie cacherait-elle quelque secret ? Holly le protecteur du Gosse est une bonne pâte. Il est indulgent et généreux mais aussi capable de se défendre. Il ne s’en laisse pas compter. Cooper n’est pas uniquement un shérif d’opérette. Il n’a pas peur et sait se battre. Et puis il y a l’indienne Magg, une survivante de l’extermination de sa tribu Bedonhokes. Elle est folle. Installée près du snack de Jess, elle interprète les signes, elle veille.
Le scénario est classique, basé sur la résurgence du passé. Le passé de retour sous forme d’une Pontiac noire. Une grosse tempête arrive simultanément comme un mauvais présage. Sur cette base classique l’auteur a su ménager quelques surprises.
Le style de Thierry Berlanda ne se caractérise pas spécialement par la sobriété. On sent une délectation à aligner des belles phrases. Des phrases imagées, voire poétiques. Le seul problème est que le narrateur est un jeune bon à rien, alcoolique au dernier degré et inculte. On a du mal à croire que des phrases si bien ciselées sortent de la bouche d’un tel poivrot. Situation assez invraisemblable quand ce pochetron est si imbibé d’alcool qu’il est vautré par terre, dans un état semi-comateux, mais qu’il continue quand même à décrire la suite des évènements parce qu’il est le narrateur. À côté de ça, l’auteur réussit à créer une atmosphère de canicule, de poussière et de catastrophe imminente, parfaitement réussie.
Berlanda affirme qu’il a mis 25 ans pour écrire ce livre. Plus longtemps qu’il n’en a fallu pour rédiger l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert en (seulement) 21 ans. Il faut croire qu’il a été particulière obsédé par cette histoire, il a du modifier moult fois son manuscrit. Peut être y a-t-il des raisons personnelles fortes derrière un tel acharnement ?
Tempête sur Nogales est un roman à suspense et un roman d’amours. Amour fou et amour de fou. Dans cette histoire l’amour présente un danger bien plus grand que la tempête. Des personnages originaux, un bon suspense, une écriture imagée et une belle ambiance crépusculaire contribuent à donner un indéniable plaisir de lecture.
[1]Note à l’attention de mes amis Québécois : en France les gosses ne désignent pas les testicules comme au Québec. Les gosses sont les enfants. Gosse est synonyme de gamin ou môme.
Extrait :
Et même si j’avais barricadé la porte de Jess avec mon corps, même avec celui du brave Holly ? Deux bastos pour nous, et après, quoi pour ma Jessie ? Mais je restais quand même, perché là-haut, tremblant par le manque d’alcool et bouffé par le soleil. Je m’en foutais de finir mal, sous les roues de la Pontiac ou traversé de balles. Je m’en foutais. Mais Jess… C’était toujours pareil. Pour elle, je voulais tout mais ne pouvais rien. Ou alors, si elle partait avec moi. Pas pour qu’elle m’aime. Juste que je l’aide. Faire du feu la nuit, piéger des marmottes, jouer au mécano par-ci par-là pour un peu de sous. Tout pour qu’elle n’ait pas peur, pas mal. Plein sud. Le Mexique. Chihuahua. Sabinas. Blonde comme elle était, dans la Sierra, ils en auraient fait une déesse.
Magg a jeté des petites poignées de cailloux au-dessus d’elle. La nuit.