Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2014 (Recto-Verso)
Genres : Enquête, historico-géographique
Personnage principal : Commissaire (retraité) Lucien Jérôme
Pierre Caron s’est consacré à l’écriture, après avoir été journaliste, notaire, avocat et directeur littéraire. La dimension historique l’a toujours particulièrement intéressé : sa trilogie La naissance d’une nation s’est vendue à 300 000 exemplaires. Je n’avais pas été très enthousiasmé par ses deux premiers romans policiers qui mettaient en scène le collectionneur de livres Paul Letendre. Cette fois-ci, il revient avec un polar géographique : Aqua Tumulta, dont le centre de l’histoire est indiscutablement la ville de Lourdes.
Au milieu des années 60 à Medellin, en Colombie, le jeune Diego Miranda s’est retrouvé dans une mission de prêtres allemands qui ont violé son innocence. Puis, il a subi l’éducation rude de la rue où il a appris à devenir froid et cruel, tout en gardant dans sa mémoire un violent sentiment de vengeance. 40 ans plus tard, expert en informatique, il travaille en Afrique avec des coopérants et découvre un village dévasté par un puissant virus contre lequel on ne peut rien et dont l’action est rapide et impitoyable.
Or, c’est justement l’année où le pape Benoît XVI, d’origine germanique et, selon Miranda, particulièrement complaisant avec les prêtres pédophiles, doit se rendre à Lourdes célébrer le 150e anniversaire des visions de Bernadette Soubirous. Le moment de la vengeance est enfin arrivé. Miranda rapporte en France des souches de ce virus africain et adresse au nouveau recteur de Lourdes une lettre de menace : il doit faire en sorte que les FARC de Colombie soient reconnus comme parti d’opposition officiel sans quoi grand nombre de pèlerins mourraient à l’occasion de la visite de Benoît XVI. L’allusion au FARC tient au fait que le père de Miranda en a fait partie. Et Miranda se doute bien que cette demande est irréaliste : il ne souhaite pas qu’on l’empêche de se venger.
Le recteur Pablo Mendès est bien mal pris : s’agit-il vraiment d’un terroriste qui risque de provoquer une hécatombe, auquel cas il doit annuler les cérémonies, la visite du pape et écarter les pèlerins. S’agit-il plutôt d’une farce plate ou d’un truc pour soutirer de l’argent, auquel cas il doit agir plus discrètement, éviter de créer une panique ou de contremander les fêtes. Pour être pris au sérieux, l’expéditeur a joint à son message un article de journal qui rapporte la mort d’un jeune homme terrassé par un virus dont on ignore la nature, sinon qu’il est fulgurant.
En désespoir de cause, et en espérant de ne pas être obligé de faire affaire avec la police officielle, le père Mendès fait appel à un vieil ami, le commissaire Lucien Jérôme, aujourd’hui retraité. Au milieu d’une description assez exhaustive de la vie à Lourdes, de ses lieux saints, et des pèlerins eux-mêmes, et à l’occasion d’un rappel des origines historiques de cette région et de ses dimensions politiques et économiques, qui remontent jusqu’à la première croisade et aux Templiers, le commissaire Jérôme cherche à comprendre la nature de la demande mystérieuse pour pouvoir conseiller son vieil ami Mendès. Une deuxième lettre, à laquelle est jointe la référence à une deuxième mort, accentue le caractère dramatique de la situation : nul doute que le tueur est à Lourdes et qu’il peut contaminer l’eau de manière à infecter qui il veut.
Je ne me suis pas du tout ennuyé à lire ce roman. D’un point de vue policier, l’originalité consiste à montrer comment un commissaire d’expérience monte un dossier à partir de rien, ou presque. Rien de spectaculaire là-dedans : un rapport d’autopsie, des informations sur l’origine du virus, une immersion dans une piscine, une rencontre dans un ascenseur, la présence d’une jolie junkie qui en sait trop… C’est sûr que le hasard fait bien les choses, mais le commissaire travaille scrupuleusement et est sympathique. On sait bien que l’hécatombe n’aura pas lieu; mais comment parviendra-t-on à identifier et neutraliser Diego Miranda?
Le fait d’aimer les digressions historiques et les discussions philosophiques contribue au côté plaisant du roman, même s’il est vrai qu’un certain déséquilibre en faveur de l’historique diminue l’importance accordée à l’enquête à proprement parler; les manuscrits de monsieur Averet, par exemple, ne sont pas indispensables. Caron le dit lui-même sur son blog : « Un polar, diront certains, mais surtout un roman, c’est-à-dire une histoire, de l’Histoire et des personnages attachants dont la vie personnelle importe autant que le drame dans lequel ils sont plongés ». Les personnages principaux sont bien campés, attachants c’est vrai, et l’écriture est facile. Donc, beaucoup de points forts, mais ceux qui carburent à l’adrénaline trouveront l’histoire trop historique.
Extrait :
Heureux d’émerger d’une pénible période dans laquelle il avait tourné à vide, il se sentit enfin dans le feu de l’action et l’idée lui sembla assez affolante. Il était dans la position d’un rempart, le seul entre la vie et la mort anticipée de plusieurs pèlerins.
Sans réfléchir, quitte à alarmer le recteur qui de fait se crispa de tous ses traits et blanchit à cette annonce, il lâcha l’incontournable conclusion à laquelle il en était arrivé :
− Il y a bel et bien un terroriste.
− Ici?
− Peut-être, et peut-être pas aujourd’hui. Mais il est venu et reviendra, ça, c’est certain. Assoyons-nous je vais vous expliquer.
Le recteur ne le quitta pas du regard, un regard tendu et inquisiteur, de tout le temps qu’il prit pour aller s’installer dans son fauteuil. Mêle s’il côtoyait l’éventualité du pire depuis plusieurs jours, il avait une brusque inquiétude, comme s’il avait, lui aussi, d’un coup débarqué dans la réalité. Il se riva aux explications de Lucien (…)
− J’ai donc une certitude, le virus vient des piscines, et un signalement, un homme d’une cinquantaine d’années, de type espagnol, que Maria a vu. J’en ai fini de nager dans des suppositions : j’ai deux crimes et j’ai un assassin. Il me demeure de trouver le moyen par lequel celui-ci inocule le virus aux victimes de son choix, l’arme du crime en quelque sorte, et un mobile.