Nous étions le sel de la mer – Roxanne Bouchard

Par Michel Dufour

nousetionsleselDate de publication originale : 2014 (VLB) Bouchard
Genres : enquête, géographique (Gaspésie)
Personnages principaux : Catherine Garant, sergent Joaquin Moralès

C’est le cinquième roman de Roxanne Bouchard. Née en 1972, originaire de la région de Lanaudière, études en lettres et en histoire, Roxanne Bouchard enseigne la littérature au cégep de Joliette. Dès son premier roman, Whisky et Paraboles (2005), elle s’est méritée le prix Robert Cliche et le Grand prix de la relève littéraire Archambault.

En 2006, elle va à la mer; elle apprend comment relever les cages à homard et comment jouir des levers de soleil sur Bonaventure. La vie des pêcheurs gaspésiens la fascine, de même que leur parlure, leurs histoires, leur ancrage dans le passé. Nous étions le sel de la mer prend racine dans ce contexte géographique et culturel. Même si on repêche une femme dans les filets et même si un sergent enquête, il s’agit plus d’un roman d’atmosphère où prédominent, selon l’auteure, le mensonge et la nostalgie. Et une touche de poésie, quand Catherine raconte une partie de l’histoire en y ajoutant son grain de sel.
Une jeune femme arrive en Gaspésie à la recherche de ses parents naturels. Au même moment, on repêche le cadavre de Marie Garant, une femme dans la soixantaine, capable de mener un voilier comme peu d’hommes, reconnue pour sa beauté irrésistible qui a déjà suscité dans l’histoire passée du village beaucoup de fantasmes et d’espoirs, beaucoup de malheurs également. Le sergent Moralès, Mexicain converti en Longueuillois, est chargé d’enquêter sur cet événement.

Se succèdent alors les rencontres au Bistro à Renaud, les conversations à n’en plus finir, très pittoresques, où on ne doit pas essayer de distinguer le vrai du faux, les promenades au bord de la mer. Et surtout défile toute une galerie de personnages inoubliables, les vieux pêcheurs Vital, Cyrille, Yves Carle, le curé qui vénère la vie bien arrosée, le procureur qui n’aime pas le trouble et ne dérangera pas Cyrille qui fume un méchant pétard, le policier Moralès aussi perdu dans ce milieu où il vient d’emménager que l’albatros de Baudelaire, Catherine elle-même, indécise et fuyante, dont l’avenir reste incertain. Et je suis obligé d’en passer parce que les personnages sont nombreux, surtout qu’on se promène du présent au passé; mais c’est là que se situe le plaisir de l’auteure et l’intérêt du lecteur : la vie quotidienne en Gaspésie au début du XXIe siècle. Chercher à retrouver ses parents est un prétexte. L’enquête sur les événements est une vaine tentative pour lier le tout. Moralès, comme enquêteur et comme homme, est dépassé par les événements. Si on ne lui disait pas tout, il ne saurait rien et n’aurait rien compris. Pas grave, parce que, perdus dans ce méli-mélo du passé, ça nous est devenu un peu indifférent de savoir l’origine lointaine du drame et l’effet que cela a peut-être eu aujourd’hui.

Ça signifie, au fond, que la trame policière n’a pas camouflé la description du mode de vie quotidien typique de la communauté de pêcheurs de la Gaspésie. Je ne crois pas que l’auteure soit mécontente de ce résultat.

Pour ma part, je comprends la fascination éprouvée par l’écrivaine; j’ai été agréablement dépaysé par l’immersion dans une écriture qui se veut fidèle à la parlure. Charmé aussi par une approche originale et une sensibilité capable de percevoir des réalités subtiles. Cependant, comme l’intérêt pour l’intrigue policière comme telle ne s’est pas tellement développé en cours de route, j’ai fini par trouver un peu longue cette tranche de vie qui, en soi, est assez triste, finalement.

Extrait :
J’ai glissé ma main le long de la coque et mon cœur s’est coincé dans ma gorge. Le voilier de ma mère. Pilar. C’est donc ainsi que tu accostes à moi? Sans échelle, impossible de monter à bord.
Je suis entrée au café où j’ai déjeuné seule. Vital, au large, remontait ses cages. Cyrille était introuvable. Même la serveuse rouquine était en congé. Je me suis étirée un long moment, j’attendais que les Amérindiens reviennent.
La marée descendait dangereusement bas quand ils se sont faufilés dans le chenal et j’ai souri, malgré moi. Ils ont accosté, se sont amarrés. Des cages étaient empilées sur le pont. L’un deux a reculé une camionnette et le spectacle a commencé.
Sur le quai, les cages se sont mises à apparaître, soulevées par la puissance du géant amérindien qui les déposait, à bout de bras, avec cette délicatesse étonnante qui n’appartient qu’aux hommes très forts.

Ma note : 3.5 out of 5 stars (3,5 / 5) nousetionslesel-amb

 

 

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