Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2012 (The Cutting Season)
Date de publication française : 2014 (Gallimard)
Genres : Suspense, roman social
Personnage principal : Caren Gray, directrice du domaine de Belle Vie
Le domaine de Belle Vie, en Louisiane, est une ancienne plantation de canne à sucre, aujourd’hui transformé en parc d’attraction. On y reconstitue l’époque de l’esclavage avec ses bons propriétaires blancs paternalistes et protecteurs veillant sur des esclaves noirs, dociles, serviables et heureux. Le bon vieux temps ! Une troupe de comédiens fait revivre ce glorieux passé devant des touristes de toutes nationalités venus s’imprégner de ce temps révolu mais plein de nostalgie. Ce lieu sert aussi de cadre à des manifestations mondaines et des mariages huppés. Or voilà qu’un beau matin la routine est bouleversée par la découverte, près de la clôture, d’un cadavre de femme. Une femme assassinée, à qui on a tranché la gorge avec un couteau servant à couper la canne à sucre. Caren Gray est la gestionnaire du domaine. Elle doit faire face à ce problème, d’autant plus qu’elle a trouvé une chemise de sa fille de neuf ans, tâchée de sang. Menant sa propre enquête, Caren va être amenée à se replonger dans le passé du domaine et découvrir l’histoire de son ancêtre Jason, esclave de son état et assassiné au moment où il a été affranchi. Si le passé pèse de tout son poids, le présent et même le futur ont aussi une grosse influence. Le groupe Groveland Farms exploite les champs qui bordent le domaine. Il envisage de s’étendre et de contrôler l’ensemble de la canne à sucre de la région. Comme le propriétaire actuel de Belle Vie vient de se découvrir des visées politiques, la vente du domaine et son acquisition par Groveland satisferaient toutes les ambitions. Mais avant il faut régler le problème de la femme assassinée qui tombe vraiment mal.
Caren Gray, le personnage principal, est une noire descendante des esclaves. Maintenant elle est directrice du domaine, sur la terre même où ses ancêtres étaient asservis. Cette femme qui a réussi n’est pas toujours bien acceptée par ses subordonnés. Mais elle parvient à bien mener son affaire, même si sa fille de neuf ans qu’elle élève seule lui donne quelques inquiétudes. Finalement Caren sera plus perspicace que les policiers chargés de l’enquête dont on se demande s’ils sont vraiment bornés ou sous influence.
L’histoire débute lentement. L’auteur(e) nous montre assez longuement la vie et l’organisation du domaine de Belle Vie. Cette mise en place du cadre est un peu languissante, mais par la suite le récit trouve son rythme et le suspense s’installe. Le passé, le présent et le futur du domaine de Belle Vie et de ses habitants s’assemblent de façon cohérente pour former un bon scénario. Attica Locke a le mérite de bien nous montrer que finalement les petites gens au service des riches propriétaires étaient plus attachées à la terre et au domaine que leurs maîtres. C’était toute leur vie.
Dernière récolte est un roman agréable. Rien de révolutionnaire. Un brin de nostalgie pour le temps qui passe sans beaucoup changer le rapport entre puissants et démunis.
Extrait :
Elle s’endormit en pensant à sa famille, celle qui vivait sous ce même toit, mais aussi celle qui vivait au-delà de la porte de la bibliothèque. Lorraine, Pearl, Ennis. Luis, Dell, Donovan, tous les Comédiens de Belle Vie. Et à ceux qui n’étaient plus là, aussi. Sa mère, ses grands-parents et ses arrière-grands-parents, jusqu’à Jason. Ce qui lui fit penser à Inés, aussi. Tous ces gens-là étaient reliés à travers le temps, à travers le paysage onduleux d’un lieu nommé Belle Vie. Chacun menait une existence façonnée par la force du labeur, mais aussi par l’amour ; leurs liens étaient bâtis sur la vase du fleuve, fine et mouvante, leurs vies de famille étaient un travail d’improvisation, construites avec ce qu’ils avaient sous la main, à l’image des bouteilles étincelantes de l’arbre d’Akerele.
À l’autre extrémité de la salle, dans le juke-box rose bubble-gum, le disque changea. Un 45-tours fut soulevé et mis de côté, remplacé par un autre. C’était Irma Thomas, la reine locale de la soul, qui chantait « Soul of a Man ».
Irma Thomas – Soul of a Man