Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2014 (Éd. de l’Homme)
Genre : thriller, noir avec du rose dedans
Personnage principal : Louise, serial killer malgré elle
Chrystine Brouillet est une de nos romancières les plus connues, les plus prolifiques, les plus respectées aussi. Son dernier polar reprend un personnage autour duquel elle avait fignolé son premier roman Chère voisine, il y a trente-deux ans. Je n’ai pas lu tout Brouillet, et je n’ai pas aimé tout ce que j’ai lu mais, depuis quelques années, depuis que les protégés de l’inspecteur Graham ont vieilli et que Maud est devenue moins maternelle, j’ai apprécié davantage ces enquêtes tortueuses dans les rues de Québec (par exemple Saccages, 2013 et Sous surveillance, 2010). Étant donné que, dans Louise est de retour, l’inspecteur Maud Graham ne figure pas, et que la forme habituelle de l’enquête s’impose moins, j’ai senti que Brouillet avait décidé de se payer la traite : un bon vent de liberté traverse toute cette histoire dont on ressort guilleret même si, au fond, on vient de se réjouir de l’escapade d’une tueuse en série.
Louise est gérante et hôtesse d’un grand restaurant de Montréal; jolie femme, début cinquantaine, très efficace dans son travail et dans sa vie, parce qu’elle possède des nerfs d’acier; tout ce qu’elle désire, c’est la tranquillité pour elle et ses deux chats. Objectif d’autant plus accessible maintenant que son ami et co-loc de vingt ans (pour des raisons pratiques) vient de la quitter. Enfin seule !
Elle apprend, toutefois, que le propriétaire de son appartement, André Lalancette, malgré ses promesses, veut vendre l’immeuble, probablement à des spéculateurs, parce qu’on sait qu’un hôpital sera bientôt bâti dans le quartier, qui se hâteront de tout démolir pour reconstruire des condos de luxe. Finis le calme et la volupté ! Situation aussi inadmissible que quelqu’un qui maltraite les animaux : devant une injustice de ce genre, un seul remède : l’élimination. Ce ne sera pas son premier méfait; comme elle le dit à ses chats : « C’est plus facile de tuer quelqu’un que de voler une banque! »
Lalancette tombe, donc, du toit de son immeuble qu’il déneigeait : les hivers sont traîtres au Québec. Ça permet à Louise de gagner du temps, mais pas encore de l’argent; il semble bien que sa seule solution est d’acheter l’immeuble. Mais où trouver un million de dollars?
L’avantage de travailler dans un restaurant haut de gamme comme Carte Noire, c’est d’y rencontrer des clients riches, sinon célèbres. Dont le juge Ellis, coureur de jupons invétéré. Très riche, par ailleurs, au point où son fils égoïste à outrance et son épouse trompée à répétition aimeraient bien s’en débarrasser, ou plutôt qu’il soit mort, ce qui est moins compromettant. Louise croit voir là une occasion d’accroître son capital.
La partie devient serrée : le juge meurt dans sa piscine; la police enquête rapidement; la nouvelle maîtresse du juge, la plantureuse Bianca, l’épouse Judith, le fils Vincent, et même Louise sont soupçonnés. Pour le bien-être de ses chats, Louise devra peut-être éliminer d’autres témoins gênants. Et, cette fois-ci, pourra-t-elle s’en sortir?
C’est un roman très rafraîchissant, écrit avec enthousiasme, où se conjuguent cohérence du récit, légèreté de l’écriture, progression et densité de l’action, et rehaussé par des personnages brossés avec art. De sorte qu’on y croit, tout en se disant, en un clin d’œil, que c’est peut-être un peu excessif. Et on ne se sent pas coupable d’applaudir un certain éloge du crime, comme on a déjà estimé un éloge de la paresse, de la folie, de la fuite…
Brouillet dit qu’elle écrit à l’instinct. Aujourd’hui, cet instinct s’enracine dans la maturité et l’expérience. Et, pour moi, ce moment de folie qu’elle s’est permis a abouti à une de ses plus plaisantes réussites.
Extrait :
Enfin ! Ils étaient enfin partis ! Louise laissa retomber le rideau, s’éloigna de la fenêtre du salon d’où elle surveillait les allées et venues des enquêteurs. Tôt, le matin, les cris de la locataire du rez-de-chaussée l’avaient réveillée. Elle s’était levée et était descendue la rejoindre, avait fait semblant d’être aussi horrifiée qu’elle en voyant le corps de Lalancette dans la cour commune. Les autres voisins s’étaient succédé, l’un d’entre eux avaient appelé la police. Des patrouilleurs étaient rapidement arrivés sur les lieux du drame. D’autres policiers avaient envahi la cour avant de commencer à les interroger. Louise avait prétendu s’être profondément endormie dès son retour du restaurant, épuisée par une soirée de Saint-Valentin vraiment exigeante.
− Je n’ai rien vu, rien entendu. Je mets souvent des bouchons pour dormir.
− Il a pourtant dû hurler en chutant du toit. Comme votre ancien voisin à Québec.
Louise avait froncé les sourcils, légèrement étonnée qu’ils soient déjà au courant. Aujourd’hui, avec l’informatique, les enquêteurs avaient aisément accès à des données sur tous les citoyens.
− C’est une drôle de coïncidence, avait-elle convenu. Mais je vous le répète, je n’ai rien vu. J’ai bu un verre avant de me coucher et je me suis endormie aussitôt.
− Quelle heure était-il ?
− Autour de minuit. Qu’est-ce qui lui a pris d’aller déneiger le toit en pleine nuit ?
− C’est bien ce qu’on se demande…