Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2002 (Prime Time)
Date de publication française : 2004 (Éd. du Masque)
Genre : Enquête journalistique
Personnage principal : Annika Bengtzon, journaliste
Le roman était dans ma pile depuis un bout de temps mais, quand la télé a décidé de diffuser une série de 6 émissions tirées des romans de Marklund avec la fameuse journaliste Annika Bengtzon, j’ai estimé que le temps de le lire était arrivé. Marklund est une personnalité très connue en Suède : après avoir été journaliste de 1983 à 1998 (sciences économiques, politique, crimes), à un quotidien du matin et au journal télévisé, elle a commencé à publier ses livres en 1995, dont le premier polar, Bomber, en 1998, qui lui a valu le prix du meilleur premier polar et qui l’a encouragé à devenir écrivaine à plein temps. Dans la vie comme dans ses essais et ses romans, elle incarne une position féministe modérée, et se bat contre l’esclavage des enfants et le ravage exercé par le sida chez les enfants du Tiers-Monde. On l’a nommée ambassadrice de l’Unicef.
Née en 1962 à Pitea au nord de la Suède, Liza Marklund a beaucoup voyagé du Moyen Orient en Amérique latine, en passant par Los Angeles. Elle a tâté l’École de journalisme mais est rapidement devenue mère à 21 ans. Elle a maintenant trois enfants. Elle vit principalement à Stockholm où elle co-possède Piratförlaget, célèbre maison d’édition, mais on la retrouve souvent en Espagne. Elle produit environ un roman par année, dont une dizaine qui illustre la vie et les enquêtes de la journaliste Annika Bengtzon. Elle a vendu plus de 15 millions de livres et est traduite en 30 langues. C’est probablement une des romancières les plus lues en Suède actuellement.
Les traductions anglaises et françaises des romans de Marklund ne se font pas dans un ordre chronologique et portent parfois des titres différents. Pour s’y retrouver : http://www.salomonssonagency.se/php/author.php?lang=en&authid=22
Alors qu’on a enregistré une série populaire télévisée au château d’ Yxtaholm, une petite fête bien arrosée célèbre l’événement pendant la nuit. L’orage se déchaîne autant que les fêtards. Puis, on découvre le corps de la célèbre animatrice Michelle Carlsson dans un car régie, victime d’une balle en plein front. Quand la police arrive, les douze participants sont confinés dans leur chambre. Une treizième personne semble s’être envolée au cours de la nuit. Il est rapidement établi que le coupable est un des treize noceurs. Or, l’un des treize est le collègue d’Annika Bengtzon à La Presse du soir, le journaliste Carl Wennergren; une autre est Anne Snapphane, une amie d’Annika, qui travaillait avec Michelle Carlsson, et qui s’avère être une des principales suspectes. Enfin, c’est un coin de pays (Hälleforsnäs, à un peu plus de 100km de Stockholm) où elle a grandi et vécu avec son défunt mari, le joueur de hockey Sven Matsson. On comprend, donc, que le journal demande à Annika d’aller voir ça de près et qu’elle accepte, même si elle, son conjoint Thomas et ses deux enfants se préparent à aller passer la Saint-Jean chez sa belle-mère à Gällnö.
Colère d’exaspération de Thomas, qui la traite de « mère lamentable ». Mais Annika est déjà en route, parvient à échanger quelques phrases avec Anne avant que les téléphones soient confisquées, et se heurte aux barrages de la police et à l’inspecteur Q, avec qui les rapports sont sans doute ambigus mais souvent efficaces. En cinq jours, Annika va réussir à s’entretenir avec tous les suspects; en même temps, l’équipe du journal, l’aide à monter des dossiers sur chacun : comédiens, techniciens, directeurs de la télé ou des journaux, stars de la communauté du spectacle, tous constituent une faune aux rancunes tenaces, aux ambitions démesurées, aux hypocrisies nécessaires. Marklund est plus soucieuse de décrire que de dénoncer cet univers des média qui tient une place importante dans notre vie quotidienne, d’en exposer les dessous peu reluisants, les conflits internes et externes, les luttes impitoyables et les compromissions souvent indispensables auxquelles les femmes doivent se livrer pour monter en grade ou simplement conserver leur place. On comprend aussi que Bengtzon elle-même, qui déploie tant d’énergie pour extirper les informations et pour les disposer dans un ordre qui permettra peut-être de comprendre ce qui s’est produit, comment et pourquoi, doit sacrifier en grande partie sa vie de famille, sa vie de couple et même sa vie personnelle.
Marklund préconise l’autonomie financière des femmes, mais elle « ne promet pas de jardins de roses ». Elle ne cache pas non plus l’aspect rentabilité à tout prix des média écrits ou visuels, ni le côté charognard des journalistes. Il y a beaucoup de monde dans ce roman, mais c’est sans doute nécessaire pour brosser un tableau substantiel de la réalité sociale qu’elle illustre à travers le prétexte d’un huis-clos policier. Réalité assez universelle, je crois, même si l’ancrage suédois (les paysages, la grandeur du territoire, les rues de Stockholm) doit accentuer le caractère réaliste de l’histoire pour un public suédois. D’autant plus que ça se lit vraiment comme un reportage. L’enquête est rigoureuse mais c’est l’enquête d’une journaliste. L’inspecteur Q reste dans l’ombre. Le huis-clos est présenté de façon intéressante, mais le dénouement du problème, bien que spectaculaire, me semble plutôt artificiel, particulièrement le rôle joué par Annika. Mais, comme c’est elle qui avait fait tout le travail, fallait bien qu’elle ait l’honneur de mettre la cerise sur le sundae.
Bref, un roman qui plaira beaucoup à ceux et celles qui veulent s’instruire en se divertissant.
Un roman qui nous permet aussi de comprendre bien des passages de Meurtre au Château d’été (ou Prime Time) présenté à la télé, quelque peu estropié pour respecter les exigences du format télésérie.
Extrait :
Annika s’abrita un instant sous l’avancée du toit, à l’entrée, assaillie par les bruits de la ville : pneus crissant sur l’asphalte mouillé, eaux gargouillant dans les caniveaux, moteurs vrombissant. Elle fourra le parapluie dans son sac et s’avança sous la pluie, sentit la douceur des gouttes d’eau sur son visage et ses cheveux, prit la direction de la station de métro. Les gaz d’échappement formaient comme un couvercle au-dessus des rues, gris et net, elle ne parvenait pas à s’en défaire. Dans un moment de dégoût, elle héla un taxi, donna au chauffeur l’adresse de Télé Zéro, s’adossa contre le cuir du siège arrière. La buée sur les vitres lui dissimulait les rues, la protégeait de la laideur.
Je n’avais pas besoin de ça. Je mérite quand même mieux.
Elle ferma les yeux. Son corps et ses vêtements avaient gardé l’odeur des enfants, celle d’Ellen, un peu surette, celle de Kalle, un peu plus forte. Dans ses mains, elle sentit encore le contact de leurs cheveux soyeux, la chaleur de leurs joues.
Elle les avait déposés au jardin d’enfants le matin. Ellen s’y était vite habituée, Kalle avait été plus réticent au début. Il était plus âgé qu’elle quand il avait commencé, et davantage conscient. Il était arrivé qu’Annika reste à pleurer à la porte du jardin d’enfants, tandis que le petit garçon en faisait autant de l’autre côté.
Elle chassa ce souvenir. Les enfants étaient bien. Leur prise en charge par la commune lui faisait regretter de n’avoir pas pu profiter de pareils avantages quand elle était petite.
Aujourd’hui c’était Thomas qui devait aller les rechercher, puisque elle-même les avait conduits. Ils essayaient de les reprendre le plus tôt que possible, de préférence vers 3 heures, jamais après 4 heures. Cela impliquait généralement que chacun travaille plus longtemps les jours où ils n’allaient pas chercher les petits, pour rattraper le temps qu’ils considéraient comme perdu.
Perdu ? Pensa-t-elle en ressentant l’absence des enfants comme une douleur physique. Elle ouvrit les yeux, contempla la surface de l’eau plombée du Riddarfjärden, maîtrisa ses envies…
J’y arriverai, pensa-t-elle. Ça ira.