Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2009 (The Secret Speech)
Date de publication française : 2010 (Belfond)
Genres : Aventures, suspense, historique
Personnage principal : Leo Demidov chef de la brigade des homicides à Moscou
Leo Demidov est un ancien officier du MGB, la police secrète de L’Union Soviétique de Staline, devenu ensuite le KGB. Il a quitté cette organisation pour créer la Brigade des Homicides. Cette entité enquête sur des faits, pas sur des comportements politiques, comme c’était le cas au MGB. Leo est contacté pour enquêter sur le meurtre d’un directeur d’imprimerie. Ses investigations l’amènent à découvrir que l’imprimeur était un ancien tchékiste, un officier de la Sécurité d’État, comme Leo. Il avait livré une centaine de personnes qui ont été déportées dans des goulags ou exécutées. D’autres crimes vont toucher ceux qui ont participé activement à l’arrestation des gens. Leo est de ceux-là. Aujourd’hui il essaie d’oublier son passé de se constituer une famille. Sa femme Raïssa et lui ont adopté deux filles de 14 et 7 ans dont les parents ont été assassinés. Mais l’ainée, Zoya, déteste Leo qu’elle tient responsable de l’exécution de ses parents. Si Leo essaie d’oublier, d’autres se souviennent. L’heure des règlements de comptes semble venue maintenant qu’un discours secret de Khrouchtchev circule sous le manteau dénonçant les méthodes et les exactions de son prédécesseur Staline à la tête du Parti Communiste. Leo est visé par ces représailles, sa fille Zoya est enlevée. Pour la libérer il devra intégrer le goulag de Kolyma en tant que prisonnier et aider l’évasion d’un autre détenu qu’il a fait enfermer, quelques années auparavant.
Tom Rob Smith situe son roman à une époque charnière pour l’Union Soviétique : de 1949 à 1956. Staline est mort, Khrouchtchev lui a succédé. Ce dernier a la volonté d’imposer un changement radical. Dans son rapport extraordinaire du 26 février 1956, lu à huis clos au congrès du Parti Communiste, il dénonce le culte de la personnalité, les abus commis par Staline et prône la libéralisation du régime. Le rapport d’abord tenu secret, circule librement. C’est un choc pour beaucoup car il remet en cause ce qui a été accompli par les représentants de l’état sous Staline. Dans cette période d’instabilité, il y a d’un côté ceux qui ont acquis une position sociale ou des avantages qu’ils ne sont pas prêts à perdre, d’un autre côté, la majorité des gens, pour eux c’est une chape de plomb qu’on soulève. L’auteur explique même l’insurrection de Budapest en 1956 et son écrasement final comme étant un complot ourdi par des militaires russes désireux de ralentir les changements afin de préserver la position de l’armée.
Les personnages sont nombreux et reflètent l’opposition entre les adeptes du changement et ceux qui n’en veulent pas. Leo Demidov est au milieu. En tant que policier de l’ancien régime, il a contribué à faire déporter des gens dans les camps, mais il a changé avant même que les grands changements ne s’annoncent. Maintenant il ne rêve que de fonder une famille unie. Ce n’est pas facile étant donné l’histoire personnelle de chacun des membres.
L’auteur semble vouloir régler le compte de ceux qui se réfugient derrière l’excuse classique : je n’ai fait qu’obéir aux ordres … Je ne savais pas. Son personnage principal, Leo Demidov n’est pas franchement un salaud mais il a contribué à faire emprisonner de nombreuses personnes, parfois des amis. Alors l’auteur imagine de l’envoyer au goulag pour une mission secrète. C’est avec une sorte de délectation sadisme qu’il décrit les sévices qu’on lui inflige. Au moins comme ça il sait Leo !
Kolyma est le deuxième volet de la trilogie Leo Demidov, au milieu d’Enfant 44 et Agent 6 que je n’ai pas lu. On peut attaquer sans problème par ce deuxième tome sans avoir lu Enfant 44.
Kolyma est un livre documenté et ambitieux même si le sujet peut paraître austère à certains. Le contexte historique, la complexité des personnages et la réflexion qu’il suscite sur la responsabilité individuelle en font un roman original et captivant.
Extrait :
Elle avait passé toute sa carrière à faire de la propagande officielle, à enseigner à ces adolescents que l’État avait toujours raison, qu’il était toujours juste et bon. Si Staline était coupable d’avoir laissé se développer un culte de la personnalité, Raïssa y avait contribué. Elle avait justifié l’enseignement de contrevérités par le fait que ses élèves devaient apprendre le langage de l’adulation, le vocabulaire de l’adoration de l’État, sans lequel ils risquaient d’éveiller les soupçons. Les rapports entre un élève et son professeur reposaient sur la confiance. Elle pensait avoir respecté ce principe au sens où elle ne disait pas la vérité dans l’absolu, mais les vérités que les adolescents avaient besoin d’entendre. Ce discours faisait d’elle une menteuse. Elle se redressa. Les élèves étaient trop troublés pour en saisir immédiatement les implications, mais ils finiraient par comprendre. Ils découvriraient qu’elle n’était pas une enseignante bien informée, mais une esclave au service des autorités du moment.
Bonjour,
J’ai terminé Kolyma quelques jours avant votre billet. Comme d’habitude, je suis assez d’accord avec votre analyse, sauf peut être sur un point. Il me paraît important de lire Enfant 44 avant Kolyma car on peut voir et comprendre l’évolution des sentiments entre Léo et Raïssa, son épouse. Comment ils ont adopté les deux filles et pourquoi il est si important pour Léo de fonder une « vraie » famille. Sinon, la terreur instaurée par le régime de Staline, puis par ses successeurs qui ne veulent sourtout pas partager leurs privilèges est fort bien décrite comme l’insurrection en Hongrie. Un bon roman qui mérite amplement le 4 que vous lui avez accordé.
Cordialement
Bonjour Sergio,
Je suis d’accord avec vous, dans une trilogie il vaut mieux lire les livres dans l’ordre. Il est donc préférable de lire Enfant 44 avant Kolyma pour les raisons que vous citez. Cependant en attaquant directement par Kolyma, on comprend quand même toute l’histoire et on devine que des évènements graves se sont déroulés qui ont amené l’adoption des deux filles. C’était la période ou Leo était un tchékiste. Oui, c’est un bon roman qui m’a semblé mériter un 4/5, peut être même un peu plus ? Il s’inscrit dans ma trilogie personnelle qui consiste à choisir trois auteurs, dont le sujet est la Russie et l’Union Soviétique à des périodes différentes, et qui en plus s’appellent Smith : Dan Smith (Le Village), Tom Rob Smith (Kolyma) et à venir Martin Cruz Smith (La suicidée).
Merci de votre commentaire.