Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2015 (Libre Expression)
Genre : Enquête
Personnage principal : Joseph Laflamme, journaliste
Gagnon nous a donné l’an passé le très bon Jack, parfaitement intégré dans la mythologie de Jack l’Éventreur, prix du meilleur premier polar du festival de Saint-Pacôme 2014. Cette année, Gagnon récidive avec Jeremiah; c’est avec plaisir que nous retrouvons le journaliste du Canadien Joseph Laflamme, sa sœur Emma, l’ex-agent de Scotland Yard George McCreary, et l’inspecteur Marcel Arcand du département de police de Montréal.
C’est l’hiver de 1892, un dur hiver. Des Noirs montréalais sont martyrisés et exécutés dans le centre-sud de la ville. On découvre gravées dans leur corps les lettres KKK, ce qui semble indiquer le Ku Klux Klan, une organisation secrète, raciste et agressive qui préconise la suprématie blanche dans le Sud des Etats-Unis, fondée vers la fin de la guerre de Sécession. Que font-ils à Montréal ? On sait aussi qu’en 1865 les Confédérés se réunissaient souvent au St. Lawrence Hall, au 13, rue St-Jacques : ils avaient constitué les Knights of the Golden Circle, société secrète également (For legion, rights and country !), n’acceptaient pas la défaite du Sud, et espérait ramasser suffisamment d’argent pour relancer la guerre et favoriser la victoire du Sud. Parmi eux, un farouche gaillard, John Wilkes Booth, se promettait bien d’assassiner le Président Lincoln. Quels rapports entre eux et le KKK ?
Au cours de son enquête sur le meutre des ouvriers du Grand Trunk Railway, Joseph Laflamme se sent suivi : un Noir l’aborde, lui confie une clé, le met en garde contre le Cercle et se fait tuer; Joseph s’en tire de justesse et se retrouve à l’hôpital veillé par Arcand, McCreary et Emma : à quel groupe appartient le messager assassiné ? Cette clé conduit à quel trésor ? Et cette clé conduira à une autre clé. Plus on approche du secret, plus un ennemi dans l’ombre et la froidure surveille les manœuvres du petit groupe jusqu’à la découverte du pot aux roses par Arcand et Laflamme. Or, cet ennemi n’est pas le premier venu : c’est lui qui était chargé de découvrir ce que Booth a caché. Mais la police semble maintenant avoir une bonne part du butin. Et le petit livre codé que Laflamme rapporte chez lui est-il si essentiel ? Il le semble bien puisqu’on continue à risquer beaucoup pour se le procurer. Pour l’obtenir, l’homme à qui il manque le bout de l’index gauche devancera Laflamme et Arcand en ruse et en audace. Enfin, face à face, éprouvant la froideur, la lucidité et la détermination de l’inconnu dont l’index droit est entier et meurtrier (comme on le constatera par la suite), Arcand et Laflamme n’hésiteront pas trop à négocier.
C’est encore un très bon roman, riche en précisions historiques, animé par des personnages crédibles et sympathiques, construit comme un thriller dynamique, et absolument ludique[1]. Gagnon possède ce grand art de confondre ses lecteurs avec une écriture pourtant claire, des énigmes bien cohérentes et des recoupements parfaitement logiques.
Bref, un grand plaisir.
[1] Dans ce roman, Gagnon transforme son ami, l’écrivain Laurent Chabin, en secrétaire de la loge des Cœurs-Unis. Dans Quand j’avais cinq ans je l’ai tué, Chabin fait de Hervé Gagnon un camarade de classe de Lara, les deux s’étant inscrits à l’Uqam à un cours de journalisme.
Extrait :
La bouche de l’ouvrier s’entrouvrit, comme s’il allait dire quelque chose, puis se referma comme une huître. Ses yeux s’écarquillèrent, leur couleur blanche contrastant avec le visage sombre, tandis qu’il regardait par-dessus l’épaule de Joseph. D’un coup sec il dégagea son bras et se mit à reculer, les jambes raides.
− Le Cercle… murmura-t-il d’une voix tremblante.
Emporté par la panique, il pivota sur lui-même et prit ses jambes à son cou. Une seconde plus tard, un coup de feu éclata derrière Joseph. L’inconnu fut violemment projeté au sol, tel un pantin désarticulé, avant de s’immobiliser sur le côté. Presque aussitôt, une mare humide et sombre se forma autour de sa tête.
Horrifié, Joseph se retourna vivement. Il aperçut une silhouette à une vingtaine de pas de lui. Les pieds solidement plantés dans la neige, l’homme pointait son revolver vers lui. Par pur instinct, Joseph se jeta sur le côté au moment même où la détonation éclatait. Il sentit la chaleur de la balle qui effleura le visage et alla s’écraser dans un claquement sourd contre la brique d’un édifice, de l’autre côté de la rue Saint-Claude. Un autre coup de feu éclatait tandis qu’il se relevait et fit gicler la neige à l’endroit précis où il était étendu l’instant d’avant.