Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2012 (Ediciones Akal)
Date de publication française : 2014 (Asphalte)
Genre : Roman noir
Personnages principaux : Tirao, gitan du poblao – O’Hara et Ramos inspecteurs de police à Madrid … entre autres
Prix : Violeta Negra 2015 au festival des littératures policières de Toulouse
Des enfants de gitans disparaissent dans le Poblao. Le Poblao est un grand bidonville situé aux portes de Madrid. Une disparition de plus m’émeut guère la police officielle. Mais cette fois c’est Alma, la petite-fille de Perro, le patriarche du Poblao, qui a disparu. À la vue d’un indice qui n’en était pas un, Perro croit connaître le coupable et aussi sec il le descend d’un coup de fusil. Ce n’était pas le bon. Perro est emprisonné. Il fait appel à Tirao, le ténébreux roi des pickpocket au passé chargé, pour trouver le vrai coupable. Côté police officielle, les inspecteurs O’Hara et Santos sont sur l’affaire. Ces deux policiers forment un duo redoutable. Le duo est même un trio car les deux énergumènes sont accompagnés d’un perroquet qu’ils ont installé dans leur bureau commun. Cette fine équipe a une réputation sulfureuse à cause des méthodes peu conventionnelles qu’ils utilisent, surtout celles d’O’Hara qui carbure à des cocktails divers et variés de drogues et d’alcool. Ces policiers sont ingérables mais ils sont efficaces, ils ont déjà résolu bon nombre d’affaires. Le Poblao va être en effervescence. Encore plus que d’habitude.
Ce livre est un roman choral. Il y a une multitude de narrateurs dont certains sont assez inattendus : l’aurore, un fantôme, la ville, une morte, un perroquet, un billet de banque et même une bite. Ajoutons qu’à l’intérieur du récit l’auteur a placé des petits poèmes. Il se dégage de ce roman une atmosphère de noirceur, d’ironie et de poésie. Le roman est aussi déjanté et farfelu, comme certains de ses personnages. C’est un tourbillon lyrique. Parvenir à rendre poétique un bidonville est le genre de performance que réussit Aníbal Malvar. C’est aussi un polar urbain qui décrit la réalité actuelle d’une grande ville comme Madrid qui laisse se développer à sa périphérie des zones de non droit, totalement insalubres où fleurissent les trafics de toutes sortes sans que la police n’y mette son nez. Dans ce cadre, il n’est pas étonnant que 62 enfants gitans aient disparus pendant ces 8 dernières années dans la plus totale indifférence du reste de la population.
Si c’est avant tout un roman d’atmosphère, l’intrigue policière n’est pas pour autant négligée. Pourquoi toutes disparitions d’enfants gitans ? Les enquêtes suivent leur cours. Il y aura une explication finale. Terrible !
Si on peut faire un reproche à l’auteur ce serait que par moments il s’est laissé emporter par sa verve, en introduisant des passages complètement inutiles qui n’ont rien à voir avec l’histoire racontée. Un excès de générosité en quelque sorte.
Par sa noirceur, sa poésie et son style La ballade des misérables est un roman étonnant et atypique qui a bien mérité le prix Violeta Negra du festival de Toulouse.
Extrait :
L’allure crâne et un rien sautillante de O’Hara, cette façon de marcher avec la douceur et la désinvolture d’un fumeur d’opium, attire inconsciemment l’attention des passants sur sa personne. D’ordinaire, ces rues ne voient passer que l’élégance de gamines compulsives courant vers leur premier shopping ; l’aplomb d’hommes à attaché-case s’apprêtant à diriger le monde ; l’aristocratie de bonnes maisons déteignant sur leurs bonnes ; la servilité statuaire des portiers ; la sexualité féconde de secrétaires vomies par la bouche de métro ; le cynisme de crapuleries déguisées en hedge funds et en cash-flow.
Et au milieu de tout ça, O’Hara. Ses lunettes de soleil ringardes, qu’il a eues à bas prix chez le Chinois du coin. Ses boucles dévastées par une nouvelle nuit blanche. Ses vêtements fripés de célibataire. Une clope un rien tordue au coin des lèvres. Et cette barbe de deux jours qui lui délave la figure. O’Hara n’a jamais apprécié les services diurnes dans les quartiers rupins. Ici, tout ce qui l’intéresse, professionnellement parlant, ce sont les bonnes que la tombée de la nuit libère enfin et les adolescents assassinés à coups de latte par des portiers de discothèque bourrés de coke et de testostérone.
Loquillo – En las calles de Madrid
Ma note : (4 / 5)