Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2015 (À l’étage)
Genre : Noir
Personnages principaux : le curé Damase, Lorenzo (bedeau)
Zhanie Roy est née à Repentigny (banlieue de Montréal) en 1977, a fait des études en cinéma à Québec, puis est revenu à Montréal pour réaliser une maîtrise en théâtre.
Trois fois la bête se passe dans un petit village du Québec, Sainte Clarisse, en 1935. Le soleil plombe sans cesse depuis des semaines, les ruisseaux s’assèchent et les animaux se rapprochent du village pour se nourrir. Les esprits s’échauffent également : on en vient presqu’aux coups en discutant de l’emplacement d’un cimetière. Et quand, en peu de temps, trois jeunes enfants sont retrouvés morts, éventrés, les villageois réclament un coupable. S’agit-il d’un loup ou d’un être in-humain ?
J’ai eu du plaisir à lire ce petit roman jusqu’au dénouement (non inclus). D’une façon sans doute schématisée, on retrouve la vie et les personnages d’un petit village québécois dans l’entre-deux-guerres. Depuis quelques années, les romans policiers du terroir connaissent un certain succès : Daniel Lessard (Le Puits), Isabelle Grégoire (Sault-au-Galant), Andrée A Michaud (Bondrée), Roxanne Bouchard (Nous étions le sel de la mer)… Le titre des cinq divisions du livre insiste sur cet aspect : Le parfum des confitures, Aux abords de la rivière, La poupée de chiffon, Une nuit de pleine lune, Une dernière fois. C’est dans ce contexte historico-géographique qu’évoluent les personnages : les parents des jeunes victimes, le curé et l’athée qui a fait fortune aux États-Unis, qui se disputent sur le terrain le plus adéquat pour servir de cimetière, entre lesquels s’interpose le bedeau Lorenzo; la sage-femme Berthe; Blanche, la jeune fille qui rêve d’aller s’émanciper en ville. Les personnages féminins sont particulièrement bien traités : leur solidarité malgré leurs différences. L’auteure décrit bien aussi la perte de puissance de l’église catholique au niveau des rapports interpersonnels; l’existence de la souffrance est difficile à justifier et les imprécations du curé Damase font penser aux prédications impuissantes du père Paneloux dans La Peste.
Toute cette vie agricole est traitée simplement, et c’est plaisant parce que Zhanie Roy écrit bien.
Le suspense est, cependant, désamorcé par les chapitres en italique qui indiquent la nature du tueur, de sorte que le lecteur n’est pas titillé par un doute. Par ailleurs, le tueur admet que c’est lui l’éventreur, alors qu’on ne lui a rien demandé. Puis, ces meurtres sont plutôt gratuits, ou alors leur motif est si incongru qu’on doit les voir comme des actes de folie. Enfin, pas de policier, pas d’enquête, pas de suspect. Le dénouement tombe à plat.
Trois fois la bête est un roman bien fait, du genre psychosociologique, un bon roman du terroir; mais, comme roman noir, ce n’est pas très fort.
Extrait :
En ce début de moisson, afin d’éviter la lourdeur des après-midi, les agriculteurs s’attellent à l’ouvrage dès les premières heures du matin. Ils partent aux champs avec les lueurs de l’aube pour ne s’arrêter que peu après le dîner. Vers 16 heures, ils se remettent à la tâche jusqu’à ce que la nuit envoie tout le monde au lit. Ce rythme et cette chaleur donnent l’impression de se trouver sur les bords de la Méditerranée plutôt qu’au cœur des Appalaches, au sud de la province de Québec.
Léa, dernière-née de Thérèse et de Vilmer Fournier, aime par-dessus tout aller cueillir des petits fruits. Avec sa constitution frêle, l’enfant paraît âgée de tout au plus sept ans, elle qui compte déjà dix hivers. Tôt en ce matin de la fin juin, elle part ramasser des fraises des bois. Elle sait qu’en haut du rang Le Grand, aux abords de la terre à Joe Bilodeau, se trouve une talle prête à être cueillie. Avant que quelqu’un d’autre n’accapare ces délicieux fruits rouges, la fillette décide d’aller s’y promener et de voir si elle pourrait en ramener suffisamment pour que sa mère fasse des confitures. La confiture, aux yeux de Léa, il n’y a rien de meilleur. Elle ne peut concevoir plus grand plaisir au monde que celui d’entrer à la maison et d’être accueillie par le parfum des fraises, framboises et autres baies bouillant dans le chaudron.
Ma note :
– Comme roman du terroir (4 / 5)
– Comme roman noir (3 / 5)
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