Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2016 (Guy Saint-Jean éd.)
Genres : Enquête et thriller
Personnage principal : J-S Héroux, inspecteur à la Police de Trois-Rivières
L’an passé, le jury de Saint-Pacôme a attribué le Prix du Meilleur premier polar à Guillaume Morrissette pour L’Affaire Mélodie Cormier. Cette année, nous retrouvons l’équipe de l’inspecteur Héroux aux prises avec un problème mystérieux : des victimes sans lien apparent et des crimes sans mobile.
D’abord, ce sont des maisons (et leurs propriétaires) qui sautent : des explosifs auraient été dissimulés dans des bûches, déjà pas mal utilisées en ce début novembre. Puis, un vendeur de drogues se fait descendre en pleine rue par une carabine longue portée Winchester, arme peu utilisée par les trafiquants; l’argent et la drogue n’ont pas été volés. L’intérêt de ce crime serait ailleurs; mais où ? Plus tard, la même carabine tire au moins quatre balles sur un autobus scolaire. Il semble aussi que ce sont les mêmes terroristes qui cherchent à faire sauter un pylône important d’Hydro-Québec. Et qui parviennent à poser une bombe dans une résidence pour personnes âgées. Pas de discrimination, tout le monde y passe : les gens ordinaires, les dealers, les enfants, les personnes âgées et, à la limite, toute la population de Trois-Rivières qui risque d’être privée de courant; d’où, éventuellement, le recours aux bûches et les explosions.
Le quartier général de la police de Trois-Rivières ne dérougit pas : il faut traquer les criminels (qu’on traite déjà de terroristes) et calmer la population. Héroux peut compter sur des agents courageux et expérimentés, mais les indices sont minces, les mobiles incompréhensibles, les modes opératoires variés, et les objectifs inconnus. Si, au moins, on réclamait de l’argent ou des mesures politiques ! Il semble que le seul but soit de semer la terreur auprès de la population trifluvienne.
C’est vraiment un polar d’enquête : Morrissette décrit minutieusement la recherche des indices, leur analyse (le nouveau venu, Christian Berberat, qui a une certaine expérience dans les explosifs, joue ici un rôle important), la disposition de ces indices dans un cadre qui les doterait d’une certaine signification (comme les pièces d’un puzzle), la description d’un modus operandi et la tentative d’en déduire un objectif. Tout cela prend du temps, mais le lecteur a l’impression d’être lui-même embarqué dans cette lente progression qui vise à dévoiler la signification, de sorte que la démarche ne lui paraît pas lourde. Les Trifluviens bénéficient en plus d’une description précise des quartiers de la ville de Trois-Rivières où se déroule l’action : Morrissette y habite.
La construction facilite aussi la concentration du lecteur : grand nombre de petits chapitres, un peu comme dans un film au montage nerveux. L’enquête aboutit à une partie plus dramatique où une enquêtrice risque sa peau, mais un dénouement heureux satisfera Héroux et une bonne partie des lecteurs. Je ne crois pas trop en dire, parce que Morrissette a choisi, et c’est un choix qui apparaît autant dans son premier polar que dans celui-ci, de nous présenter l’aspect positif d’une équipe policière et de son chef, un Jean-Sébastien Héroux, plus blanc que blanc, gros travailleur qui n’hésite pas à se compromettre sur le terrain, bon chef d’orchestre qui distribue les rôles avec efficacité, amical et reconnaissant avec ses hommes et ses femmes, humain avec les suspects, compréhensif mais pas complaisant. On n’accusera pas non plus Morrissette de voir la police en rose; son option, à une époque où, dans les polars comme dans la vie, se multiplient les ripoux et les abus policiers, l’aspect qu’il privilégie est original et lui permet surtout de se concentrer sur l’enquête comme telle sans subir l’interférence de facteurs extérieurs. C’est un roman, pas le rapport d’une Commission d’enquête.
Cela dit, après deux romans on commence à reconnaître un peu mieux les adjoints de Héroux : Alexandra, la spécialiste des scènes de crime; Brigitte, l’agente de terrain; Jérôme, le psychologue sur lequel Héroux peut compter les yeux fermés; Stéphane (marié, trois enfants et une femme), spécialiste des papiers et des recherches sur ordinateur; Christian, le nouveau venu, spécialiste, par la force des choses, des explosifs.
Pour ma part, j’aimerais que leur identité soit précisée davantage, un peu comme quand on recrute les 7 Mercenaires1 : chacun agit de façon singulière, et on ne peut plus oublier sa spécialité.
L’affrontement entre les policiers et les délinquants ressemble un peu à une partie d’échecs dans laquelle chaque chef dirige ses pièces sur l’échiquier. On retrouve ici le sens du jeu de Morrissette. Mais le projet de Robertson et Hardy et les moyens pour y arriver ne sont pas très crédibles. Même si leur plan avait parfaitement marché, ils ne seraient pas très avancés. Morrissette répliquerait probablement que tel est le destin des terroristes.
1 Film de John Sturges, 1960 (The Magnificent Seven)
Extrait :
Héroux remonta tranquillement la rue Notre-Dame vers le nord-est, les yeux tournés vers le cadavre. Il regretta soudainement la petite superficie du périmètre réservée aux policiers : des journalistes l’avaient aperçu et se pressaient dans sa direction.
Ils n’eurent pas le temps de le rejoindre qu’une série de détonations se fit entendre.
− Couchez-vous ! hurla Héroux en sortant son arme. À terre ! À terre !
Il courut vers la rue des Ursulines au milieu des curieux apeurés, son Glock pointé devant lui. Les coups de feu avaient cessé, il y en avait eu environ une dizaine, très rapprochés, comme s’ils provenaient d’une mitraillette. Jérôme Landry était placé derrière une voiture, son pistolet à la main. Il le pointait dans la direction du corps.
− D’où ça vient ? lui cria le chef, lui-même caché derrière un petit camion, tout près.
− Je ne le sais pas ! déclara-t-il. Tu as entendu ça ? On dirait un automatique !
− Alex ! Merde, Alex ! s’époumona-t-il.
− Je suis correcte ! rétorqua-t-elle. Ça vient des arbres ! Dans la cour du Musée !
Elle était couchée sur le dos, immobile, les pieds pointés vers le petit boisé qui bordait la rue. Autour d’elle, à une trentaine de mètres de chaque côté, c’était le chaos. Les quelques passants qui s’étaient arrêtés pour voir la scène remontaient maintenant la rue des Ursulines en courant ou déguerpissaient vers le parc portuaire, en passant par la terrasse Turcotte.