Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2016 (Druide)
Genre : Enquête
Personnage principal : Maud Graham, détective Service de police (Ville de Québec)
Chrystine Brouillet est la doyenne de nos romancières policières du Québec; elle produit beaucoup et régulièrement. Sang d’Encre Polars a déjà publié six de mes comptes rendus.
La secrétaire de la résidence des Cèdres, Lydia Francoeur, est assassinée. Pour Maud Graham et son équipe, il est difficile de démarrer l’enquête d’une part parce qu’on ne voit pas de motif : tout le monde aimait bien la gentille Lydia; d’autre part parce qu’on doit chercher des informations auprès de personnes qui ont des problèmes de perception, de mémoire ou de cohérence. Comment démêler le vrai du faux ?
Les enquêteurs comptent un peu sur Karl Lemay qui a l’impression d’avoir vu un barbu agressif dans le parc où Lydia s’est fait tuer, mais il ne sait plus exactement quand, ni dans quelles circonstances. Déjà, à la résidence des Cèdres, il a acquis une réputation de solitaire, sauf par rapport à son vieil ami Ludger Sirois, qui constate tristement son enfoncement dans l’Alzheimer. Mais, comme Karl est possiblement le seul témoin du meurtre, et qu’il aurait peut-être dessiné la tête du barbu en question et même l’agression, il faut compter sur lui, en tout cas avec lui.
D’autant plus que, quand son ami est empoisonné… accidentellement, pourrait-on dire, Maud Graham imagine que c’est Karl qui était visé, dans le but de faire disparaître un témoin gênant. On finit par déterminer un suspect : difficile de le coincer parce que les preuves sont toutes circonstancielles. Maud s’assurera de la collaboration ambigüe de Leonard Cardinale, récemment libéré de Sainte-Anne-des-Plaines, admirateur de Karl qui l’avait incité à peindre dans son jeune temps. Le piège qu’ils tendront au suspect est quand même passablement risqué.
Comme plusieurs auteurs (Donna Leon, Anne Perry…), Brouillet situe ses histoires policières dans un contexte de problématique sociale qui nourrit vraiment ses drames. Dans Six Minutes, elle parvenait à entrer dans la peau et l’esprit d’un batteur de femmes, de la femme battue elle-même, sa soumission ou sa révolte, et exposait avec justesse cette relation malsaine, morbide même, qui relie les deux conjoints. Dans Vrai ou Faux, elle s’introduit dans un milieu de personnes en perte d’autonomie, et sa description touchante de Karl Lemay, de ses oublis, de ses égarements, de son repli sur soi, du souci aussi de son ami Ludger qui joue pour lui, en douceur, le rôle de principe de réalité, est pratiquement plus accrochante que l’intrigue policière à proprement parler. Plus émouvante, en tout cas. Pas surprenant que Brouillet ait dédié cette œuvre à la mémoire de ses parents.
Extrait :
Karl Lemay sentit le sang recommencer à circuler plus lentement vers son cœur, mais oui ! Il s’était trompé ! C’était Lydia ! Il était certain que Lydia était morte. Il se souvenait même qu’elle serait enterrée demain. Pour la première fois depuis des mois, Karl Lemay se réjouit d’avoir fait une erreur. Il prit une longue inspiration, déposa les crayons sur la table avant de se relever lentement, tremblant encore d’avoir imaginé que Ludger était mort. C’était la faute de ses maudites pilules. Il dirait au médecin qu’elles ne l’aidaient pas du tout, bien au contraire. Le docteur… le docteur… Qu’est-ce que c’est déjà, son nom ? Le docteur…
Karl s’assit sur son lit, se dit que ce n’était pas important de ne pas se rappeler le nom du médecin. Il s’en souviendrait plus tard. Il irait boire un café avec Ludger et le nom du médecin lui reviendrait. Ou Ludger le lui dirait. Il vacilla en se dirigeant vers la fenêtre pour repousser les rideaux, s’appuya contre la table de chevet, la fit tomber, tenta d’empêcher sa chute et tomba lui aussi. Il resta quelques secondes sans bouger, se demandant ce qu’il faisait au sol, puis il entendit quelqu’un l’appeler, reconnut Catherine qui le dévisageait avec inquiétude tout en l’aidant à se redresser.
− Il fallait m’appeler, M. Lemay. Je serais venue vous aider.
− Il… il… je… Ludger… je dois…
Catherine fit asseoir le peintre sur son lit, prit ses mains dans les siennes et lui dit doucement qu’il ne pourrait pas voir son ami aujourd’hui, qu’il devait se reposer.
− Ludger est malade ?
Catherine secoua la tête avant de lui rappeler que Ludger Sirois était décédé. Elle vit blêmir Karl Lemay, crut un instant qu’il s’évanouirait, fut surprise de la force avec laquelle il la repoussa en criant qu’elle se trompait. C’était Lydia qui était morte. Pas Ludger ! C’était impossible.
Ma note : (4 / 5)