Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2016 (La Manufacture de livres)
Genre : Roman noir
Personnages principaux : Virgile, Karl, Georges, Judith et Corie, habitants des Cabanes, un hameau sur le plateau de Millevaches en Corrèze.
Virgile et Judith forment un couple de vieux paysans. Ils habitent Les Cabanes, un hameau sur le plateau de Millevaches en Corrèze. Elle, atteinte d’Alzheimer, lui, de dégénérescence maculaire, l’avenir ne s’annonce pas rose. Ils ont élevé Georges, leur neveu, dont les parents sont morts dans un accident de la route lorsqu’il avait quatre ans. Georges vit dans un caravane installée à quelques pas de leur ferme. Un peu plus loin habite Karl, un ancien boxeur, venu d’on ne sait où il y a quelques années, il a sympathisé avec Virgile. Ce petit monde a ses habitudes et vit dans une relative tranquillité jusqu’à la venue de Corie, la nièce de Judith. Elle a besoin d’un endroit pour se reposer et fuir un compagnon violent qui la bat. Elle va s’installer dans la caravane de Georges. Cette arrivée va changer le quotidien de ces gens. Surtout de Georges, bien sûr. Un mystérieux chasseur, bien inquiétant, observe tout cela et attend son heure.
La qualité de ce roman réside dans la description du monde paysan. L’auteur montre les habitudes et la psychologie de ces gens simples, rudes, taiseux mais non dénués de bons sens et même parfois de finesse. Leur monde se limite à leur hameau où ils vivent en quasi autarcie, tout ce qui vient de l’extérieur est suspect. Il faut être né ici pour comprendre ce pays dit un personnage. Les étrangers ne peuvent comprendre ni le pays, ni les gens. Cela donne une impression d’enfermement malgré l’étendue des paysages. Ces gens ont peu de rêves, peu de projets mais on continue à faire ce qui doit être fait, jusqu’au bout. La solitude est partagée mais les problèmes, chacun les garde pour soi. Quelques secrets familiaux déterrés sont source de tension. La mort est omniprésente. Elle ne fait pas peur, elle est acceptée et devient même une délivrance pour certains. Les personnages et la restitution de l’ambiance du monde paysan sont, à mon avis, les parties les plus réussies du livre.
Par contre j’ai regretté de ne pas trouver dans ce dernier roman, la même sobriété du style présente dans Grossir le ciel. Cette fois le vocabulaire est recherché et riche. Je dirai même pompeux à certains endroits. Il faut garder un dictionnaire à portée de main si on veut comprendre tous les mots. Ainsi vous vous trouverez confrontés à : tégument, joubarbe, épicarpe, cuscute, anthère, sessile, colloïdes … Ce déballage de culture botanique me paraît inadéquat dans ce monde rude et austère de la paysannerie. Tout comme les envolées lyriques et le mysticisme que l’on trouve ici et là. Certaines phrases, ciselées par l’auteur, m’ont parues hermétiques, comme par exemple : « Un pays d’argent à trois rochers de gueules, au chef d’azur à trois étoiles d’or. » C’est poétique mais la signification est obscure.
La science des mots et de la langue est incontestable mais les noms savants et les phrases sophistiquées viennent atténuer la force du récit au lieu de la renforcer, et cela nous éloigne de l’intrigue, nous fait perdre le fil de l’histoire.
Il y a de beaux moments dans Plateau, tant que Bouysse ne se laisse pas emporter par une fougue littéraire non canalisée. Un peu plus de simplicité et de modestie de la part de l’auteur aurait été souhaitable.
Extrait :
— Ce Plateau, je l’ai jamais aimé, j’ai toujours fait semblant pour pas les décevoir. Tout paraît beau en surface, on te parle de préservation de l’environnement à longueur de temps, à la télé, dans les journaux, ce genre de conneries, mais ici, c’est pas l’environnement qui a besoin d’être préservé. L’environnement, il a gagné depuis longtemps et c’est pas prêt de changer. Les hommes appartiennent à ce royaume et pas l’inverse. Ils ont pas la main, ici, ils sont comme des épouvantails éventrés qui font plus peur à personne. C’est ça la vérité.
Ma note : (3,8 / 5)