Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2014 (La Manufacture de livres)
Genre : Roman noir
Personnage principal : Gustave Targot dit Gus, paysan dans les Cévennes
Au lieu-dit Les Doges, il y a deux fermes éloignées de quelques centaines de mètres. C’est un coin paumé des Cévennes entouré de montagnes, de forêts et de quelques prairies. Dans une de ces fermes vit Gustave Targot, dit Gus. Dans l’autre, habite Abel Dupuy. Les deux voisins se fréquentent peu mais de temps en temps ils se donnent des coups de main pour les travaux de la ferme. Parfois c’est juste pour boire un coup qu’ils se rencontrent. Gus a une cinquantaine d’années, Abel est plus vieux, 70 ans. Un jour où Gus était à l’affût des grives, il entend des coups de feu et des cris provenant de la ferme d’Abel. Intrigué il va chez son voisin. Là il découvre près de la grange une grosse tache de sang. Gus ne sait trop quoi penser mais une méfiance vis à vis d’Abel s’installe dans son esprit, jusqu’à ce que celui-ci lui fournisse une explication valable. Mais un autre fait troublant va se produire : se sentant observé alors qu’il réparait une clôture, Gus découvre des traces de pieds dans la neige, sans chaussures. Quelqu’un se balade pieds nus dans la neige ! Il se passe décidément de drôles de choses ces derniers temps dans ce foutu pays ! Gus n’est pas au bout de ses surprises. Lors d’une invitation à manger une omelette chez lui, le voisin Abel lui propose un drôle de marché. Le destin est en marche et la volonté d’un homme pèse pas lourd devant lui, comme le dit Abel.
Le cadre joue un rôle primordial dans ce roman. Il y a une sorte de contraste entre les grands espaces qui entourent les deux fermes et l’impression de huis-clos qui se dégage de ce récit. L’hiver et la neige accentuent encore plus la sensation d’isolement de ces paysans. Cet environnement exacerbe la solitude. Ce climat âpre façonne les hommes à son image, c’est un pays « de brutes et de taiseux ».
Les personnages, les deux paysans, sont des hommes rudes, peu bavards, courageux. Mais ces gars rustiques ne se laissent pas pour autant manipuler par les beaux parleurs. Par exemple la confrontation de Gus avec un évangéliste, un « suceur de bible », est assez jubilatoire : le mec n’arrive pas à avoir le dernier mot malgré son discours bien rodé et en plus Gus lui claque la porte au nez quand il décide que l’entretien est terminé. L’autre en est même réduit à lui demander de l’aide, perdu en pleine montagne, dans le froid, son téléphone portable à la main, complètement inutile dans cette région sans réseau pour mobiles. Ceux qui ont connu le monde paysan, trouveront les personnages des deux paysans criants de vérité. Il y a un passage où l’auteur fait le rapprochement entre les Indiens et ces paysans (voir extrait ci-dessous). Comme pour les Indiens, le monde de Gus et d’Abel est en voie de disparition.
L’écriture, sobre et efficace, rend superbement à la fois la beauté âpre des paysages, la rudesse des personnages mais aussi leur sensibilité et même leur faiblesse.
Il y a un côté mystique dans ce roman noir : le sort des personnages semble déterminé par des forces obscures qui les dépassent, les entrainant irrésistiblement vers un destin tragique.
C’est beau, c’est dur, c’est excellent.
Extrait :
Ça aussi, c’était sa liberté, pouvoir choisir d’être seul dans cette obscurité promise.
Pour en revenir aux Indiens, Gus trouvait qu’ils avaient de la noblesse en eux, quelque chose au fond de leurs yeux, que personne n’avait jamais pu leur prendre, comme s’ils avaient toujours su que poser un pied sur le sol n’était pas le plus important et que c’était plutôt la manière qu’on avait de s’en arracher qui en avait.
La dignité, c’est ce qui venait à Gus, plus que la fierté. Et la liberté, il était persuadé qu’elle se situait entre deux pas, quand on avait la chance de choisir où on allait.
Ma note : (4,5 / 5)
et coup de cœur
Moi la citadine, j’ai beaucoup aimé aussi. C’est âpre, rude mais très fort. Cette veine du polar rural (que j’ai initiée avec ma lecture de Sandrine Collette) me semble avoir le vent en poupe…
Effectivement le polar rural a maintenant du succès. Des éditeurs comme La Manufacture de livres et Écorce ont créé une collection « Territori », dédié à ce type de romans, qui me semble d’une grande qualité.