Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2015 (La Manufacture de livres)
Genre : Roman noir
Personnage principal : Begonia Mars, prostituée
Bégonia Mars est prostituée à la Jonquera. Elle travaille au Gran Madam’s, une de ces boîtes qui fleurissent dans ce « trou mondial des filles à baiser ». Son mac c’est Ludovic, dit le Boss, il est assisté de l’homme à tout faire le Chinois. Ce trio a décidé de changer d’air, de donner de l’essor à leur petite entreprise. C’est à Paris que ça se fera. Mais auparavant il faut régler le problème que constitue le Catalan. Ceci fait, ils prennent la direction du Nord. En route ils rencontrent Marielle, une adolescente qui leur demande de la ramener chez elle. Ils acceptent et les voilà à Capendu dans l’Aude où les parents de Marielle tiennent une station essence. Ils vont s’attarder là. Quand ils reprendront la route, bien des choses auront changé.
Certains auteurs prennent le temps de planter un décor, d’amener lentement les personnages, bref de commencer une histoire en douceur. Ici le démarrage est brutal. Accrochez-vous ! Une passe, vécue par Bégonia. Elle est secouée. Nous aussi, pas de la même façon. On est tout de suite dans le vif du sujet, si j’ose dire. Le métier de pute dans toute sa brutalité, c’est terrible ! Une page et demie, une quarantaine de lignes et nous connaissons le personnage principal et la toile de fond. L’intrigue est simple, on n’est pas ici dans un thriller avec des rebondissements compliqués. C’est un roman noir racontant une cavale d’un trio improbable dont le but est aussi vague qu’improvisé. Il y aura une pause. Ces marginaux pas très recommandables vont rencontrer des honnêtes gens, travailleurs, généreux, respectueux des lois et des apparences. La force de ce roman réside dans cette juxtaposition des deux modes de vie. Elle nous réserve quelques surprises.
Le personnage principal est aussi la narratrice, c’est Virginie Lupesco alias Bégonia Mars. D’abord étudiante sans conviction à Perpignan, il lui est apparu plus grisant d’être hôtesse dans un bar de nuit. Puis c’est l’engrenage : danseuse, service topless et pute. Maintenant elle est résignée, elle accepte sa condition. Mais elle garde de l’ambition : quitter son statut de pute ordinaire de la Jonquera pour devenir prostituée de luxe à Paris. C’est l’ascenseur social vu par Begonia. C’est le projet que lui a vendu Ludovic, le Boss. Elle y croit. Bégonia est attachante par son mélange de naïveté et de lucidité. Et ce n’est pas parce qu’on vend son corps au premier mâle en rut qui peut payer qu’on m’a pas un cœur de midinette. Elle se prend même à imaginer une vie différente avec le doux Ali Talib, le veilleur de nuit de la station-service. Un autre personnage féminin, quoique secondaire, est important : c’est Marielle, la fugueuse récidiviste. C’est une ado de 13 ans, grande et grosse. Elle mange trop, elle est agressive envers ses camarades et elle fait des fugues à répétitions. Ses parents ne savent pas pourquoi, qu’ils disent. Bégonia va trouver. Avec l’aide de ses équipiers elle va régler l’affaire. Définitivement. Ça ils savent faire.
L’écriture est sobre et nerveuse. Les phrases sont courtes, elles claquent. Ce style vif s’accorde bien au thème du roman, il renforce son impact.
Quelques mots sur la couverture surprenante du livre : pas de titre et pas de nom de l’auteur, juste une photo d’une prostituée en premier plan et un camion au second. Si vous voulez vraiment savoir qui a écrit le bouquin et comment ça s’appelle, il faut retourner le volume et là, de façon discrète, se présentent ces informations. Et dire que certains trouvent que les écrivains ont un ego démesuré !
Après sa lecture on a l’étrange impression que ce livre renferme plus de choses qu’il n’y paraît à première vue. Ce court roman trouve quand même la place d’inclure le thème des violences subies par les femmes et celui de la lâcheté, de l’aveuglement de ceux qui ne veulent pas voir de peur que leur tranquillité ne soit compromise. Court mais pas léger, ce bouquin !
Gran Madam’s est un excellent roman noir. Noir mais pas désespéré.
Extrait :
Mon costume, c’est un soutien-gorge rouge à paillettes, une culotte brésilienne assortie avec des Velcros sur le côté et c’est tout. Il faut mettre beaucoup de maquillage, des faux cils et ça, ça prend du temps, surtout avec les mains qui tremblent. Il faut appliquer le fond de teint et l’anticernes, en couches épaisses pour masquer la vie dure, mettre du rouge à lèvres très rouge en plusieurs épaisseurs pour pouvoir garder de la couleur le plus longtemps possible. Le rouge que l’on nous donne ici est de mauvaise qualité. On peut m’embrasser mais moi je n’embrasse pas. Je fournis une sexualité génitalisée et standardisée. Je ne suis pas une call-girl bien payée, je suis une pute bon marché.
La majorité des clients s’en contentent. Pourquoi ils m’embrasseraient? Ils ne veulent pas des bouches, ils veulent du sexe.