Quand sort la recluse – Fred Vargas

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2017 (Flammarion)
Genre :
Enquête
Personnage principal : Commissaire Adamsberg (Paris)

L’entrevue qu’a accordée Fred Vargas à l’animateur de La Grande Librairie, François Busnel qui, habituellement, s’en sort assez bien, ne rend vraiment pas justice à Vargas. Comme le pense Adamsberg à-propos d’Irène : « Il avait envie de la brusquer, cette femme, mais il avait compris que plus on la pressait, moins elle allait droit. C’était elle qui réglait le tempo et les digressions ». L’animateur avait sans doute compris le message et s’est interdit d’empêcher Vargas de digresser. Je trouve ça dommage pour les gens qui ne la connaissaient pas et à qui l’entrevue ne donne pas le goût de connaître ses œuvres.

Dès Ceux qui vont mourir te saluent (1994), j’ai aimé Vargas, ses personnages, ses ambiances : « Je veux décrire la vie non pas telle qu’elle est, mais telle qu’on peut la rêver ». Je l’ai délaissée après Sous les vents de Neptune (2004); le langage qu’elle prête aux Québécois est tellement farfelu, tellement impossible, que j’y ai vu une négligence difficilement pardonnable, un manque flagrant de professionnalisme. Comment un éditeur peut-il laisser passer un tel massacre ?

J’ai repris contact lentement avec Un lieu incertain (2008); puis, j’ai été complètement gagné par L’armée furieuse (2011). Dans Quand sort la recluse, j’ai retrouvé le plaisir unique que procure un bon Vargas : une équipe de policiers exceptionnelle, des personnages typiques et rares (comme en offrait la série Chapeau melon et bottes de cuir), des situations mystérieuses aux rebondissements étonnants, un antidote radical aux récits réalistes du genre documentaire.

Au départ, une situation trop improbable pour Adamsberg : dans le Languedoc-Roussillon, trois décès apparemment causés par la morsure d’une araignée, la recluse qui, habituellement, est peureuse et vit cachée. Et dont le venin n’est pas très dangereux pour l’homme. Mais, évidemment, les victimes étaient âgées, leurs défenses affaiblies… Statistiquement, c’est quand même très peu probable et, pour Adamsberg, il y a quelque chose de louche là-dessous. La plupart de ses collègues sont sceptiques; on en vient presqu’aux coups; et Danglard menace de dénoncer les manœuvres de son chef. Entre deux enquêtes plus ou moins officielles, Adamsberg se donnera le temps d’analyser les événements liés à la recluse. Se pourrait-il qu’un tueur en série soit à l’œuvre ?

Beau sujet, enquête intéressante, aller-retour efficace entre le passé et le présent, et surtout communauté de flics attachante commandée par un chef aux intuitions brumeuses mais pas moins persistantes, ce qui attire souvent le scepticisme de sa troupe, mais il le comprend bien et ne s’en offusque pas. Et, en retour, ses subordonnés l’aideront même quand ils ne sont pas d’accord avec ses démarches, parce qu’ils savent que le chef les aime bien et les respecte. La solidarité, malgré quelques éclats récurrents de mutinerie, est donc encore plus forte que dans l’escouade dirigée par Navarro. Rappelez-vous : Vargas décrit la vie non pas telle qu’elle est, mais telle qu’on peut la rêver.

C’est ce qui nous fait du bien.


NB. Quand sort la recluse compte parmi les trois romans finalistes du Prix Saint-Pacôme International, dont le gagnant sera dévoilé en octobre prochain, lors du Gala de la Société du roman policier de Saint-Pacôme (les deux autres compétiteurs : Jusqu’à l’impensable de Connelly, et Cartel de Winslow).

Extrait :
Le médecin en charge à Rochefort s’opposa dans un premier temps à toute visite à son patient, tout policiers qu’ils soient. La situation du malade avait empiré pendant la nuit.
− À quel point ? demanda Adamsberg.
− La plaie s’est étendue trop rapidement, la nécrose s’y est déjà mise. Nous avons là une réaction accélérée. La fièvre est déjà à 38,8°.
− Comme les trois patients de Nîmes ?
− C’est à craindre, et je ne comprends pas ce que la police a à voir avec cela. Qu’on nous envoie plutôt un venimologue, ce sera plus sensé, ajouta-t-il en forme de conclusion, tournant le dos.
− Où a-t-il été mordu ? insista Adamsberg.
− Au bras droit. Ce qui nous laisse bon espoir avec une amputation.
− Pas tant que cela, docteur. Cet homme n’a pas été mordu par une simple recluse, il a reçu vingt fois la dose de venin. C’est un meurtre.
− Un meurtre ? Avec vingt recluses ?
Le médecin leur faisait de nouveau face, bras croisés, jambes écartées, et souriait, en ferme posture de refus. Un type solide, efficace, autoritaire et fatigué.
− Depuis quand, dit-il, l’homme sait-il commander aux araignées ? Les siffler pour qu’elles viennent à lui, les organiser en cohortes et les jeter sur une victime quand cela lui chante ? Depuis quand ?
− Depuis le 10 mai, docteur. Trois hommes sont déjà décédés et deux autres vont mourir si vous ne nous laissez pas voir votre patient. Je peux obtenir une injonction, si vous l’exigez, mais je préférerais de beaucoup ne pas perdre de temps et lui parler avant que la fièvre ne passe les 40°.
Impossible, bien entendu, qu’Adamsberg obtienne une injonction, son divisionnaire n’étant pas même informé de l’enquête. Mais le terme entama l’assurance du médecin.
− Je vous donne vingt minutes, pas plus. Ne l’échauffez pas, ne faites pas monter la fièvre. Quand au membre atteint, il ne doit en aucun cas le bouger.

Niveau de satisfaction : 
4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)

 

 

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