La mort a ses raisons – Sophie Hannah

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2016 (Closed Casket)
Date de publication française : 2016 (Lattès)
Genre : Enquête
Personnage principal : Hercule Poirot

C’est le deuxième Poirot de Sophie Hannah. J’avais accueilli le premier, Meurtres en majuscule, avec une certaine satisfaction. Ce dernier m’a déçu.

La célèbre écrivaine Athelinda Playford, dont les romans à mystères pour la jeunesse ont réjoui bien des ados depuis une vingtaine d’années, a réuni dans son manoir une dizaine de personnes, qui ignorent à quoi s’attendre. Athelinda est friande de mystères dans sa vie privée et adore ménager les suspenses et mettre en scène des surprises. Au souper, on apprendra que le but de cette réception est d’annoncer les nouvelles clauses de son testament. Pas surprenant qu’on y retrouve sa fille Claudia et son fiancé le docteur Kimpton, son fils Harry et son épouse Dorro, ses avocats Gathercole et Rolfe, et son secrétaire Scotcher flanqué de son infirmière Sophie Bourlet. Étrangement, ont été également invités Poirot et son sous-fifre Catchpool, qui ne la connaissent pas personnellement.

On apprend que les enfants d’Athelinda sont déshérités au profit de Joseph Scotcher, dont la vie semble pourtant tirer à sa fin, victime d’une étrange maladie dégénérative. L’atmosphère déjà morose s’alourdit davantage. Poirot et Catchpool craignent de deviner la raison de leur invitation.

De fait, on retrouve en soirée le cadavre de Scotcher, le crâne apparemment défoncé par Claudia armée d’un gourdin. Sauf que l’autopsie révèle qu’il aurait été préalablement empoisonné. Quelle est l’idée de tuer quelqu’un qui est déjà mort ?

Même si, en principe, on peut toujours sortir du manoir et se promener dans les jardins, on a affaire à une sorte d’huis-clos. Un plan des deux étages renforce cette idée. De même que le nombre limité de suspects. Et, en effet, une grande partie du roman consiste en une multitude de récits où quelques indices apparaîtront. Ce début est donc assez prometteur.

Par après, malgré quelques ingrédients typiques du récit d’enquête classique, je suis resté sur ma faim à deux niveaux. Est-ce un bon polar ? Et est-ce un bon Poirot ? D’abord, on ne reconnaît pas beaucoup Poirot, à part la moustache. Dans la première moitié du roman, on ne le rencontre pas souvent. Puis, quand on le voit, il est hésitant, s’apitoie sur ses facultés intellectuelles défaillantes (style Columbo) et, à part une formidable intuition qui tient de la magie (sur la métaphore du cercueil !), il semble avoir pris un coup de vieux. Bref, je n’ai pas reconnu le brillant détective qu’il est supposé être.

Deuxièmement : est-ce un bon polar ? Pas à mon goût, surtout pour deux raisons : d’abord, j’ai trouvé les personnages peu crédibles, du majordome Hatton trop peu accueillant, à la cuisinière Brigid trop irascible, en passant par la servante Phyllis trop braillarde. Puis, la fille Claudia inutilement agressive, son chevalier servant Kimpton prétentieux et irrationnel (lui qui s’imagine ne compter que sur la raison et les faits comme un scientiste du XIXe siècle); le fils Harry trop nul, sa femme Dorro trop imbécile; je pourrais continuer… L’essentiel c’est : tellement de trop que ce n’est pas croyable, de piètres caricatures, passables dans un pastiche ironique, mais il me semble que l’auteure veut plus que ça. Comme dit un commentateur : « On se croirait dans un asile de fous ! »

Puis, la solution est pour moi inacceptable : ça ressemble à un deus ex machina. Or, dans un bon polar, le lecteur aime lutter à armes égales avec le détective pour trouver la solution de l’énigme. Si cette solution dépend d’un personnage dont on n’a pas entendu parler et qui survient dans le dernier chapitre, ce n’est pas juste. Si le coupable est une sorte de malade mental qui n’a pas besoin de motif pour tuer, ce n’est pas correct non plus. Ici, évidemment, nous ne sommes pas en présence de ces deux cas (je m’en voudrais de vendre la mèche), mais la solution de Poirot implique un comportement inacceptable de la part d’un témoin, trop tiré par les cheveux pour être acceptable, me semble-t-il, selon les règles de Van Dine.

Si vous lisez pour passer le temps, le roman risque de vous plaire, mais pas si vous être un amateur pur et dur, qui aime lutter à armes égales avec le détective plutôt que de le voir tirer un lapin d’un chapeau.

Enfin, il est possible que la traduction n’améliore pas la situation, tel que l’extrait suivant le montrera.

Extrait :
– Vous croyez donc que Sophie Bourlet est coupable de ce crime ? demanda Poirot.
– En effet, répondit Conree. Et cela depuis le début.
– Inspecteur, si je puis me permettre. J’ai la conviction que l’infirmière est innocente. J’espère en être bientôt certain. Je vous demande donc instamment…
– De ne pas l’arrêter, c’est ça ? dit Conree.
– Oui, du moins pas encore.
– Si vous m’aviez écouté patiemment au lieu de m’interrompre, vous sauriez que je ne suis pas ici pour arrêter Mlle Bourlet.
– Ah non ? s’étonna Poirot, puis il me regarda d’un air perplexe, et pour cause. Vous avez dit que vous étiez ici pour procéder à une arrestation, inspecteur. J’ai supposé…
– Votre supposition n’était pas fondée. Je suis ici pour arrêter Mlle Claudia Playford.
– Quoi ? m’exclamai-je. Mais vous venez de déclarer que vous suspectiez Sophie Bourlet.
– Conree fit un signe de tête à O’Dwyer, qui prit le relais :
– Il n’y a aucune preuve que Mlle Bourlet ait agressé physiquement M. Scotcher. Dans le cas de Mlle Claudia, nous en détenons la preuve, et donc nous devons l’arrêter.
– Quelle preuve ? Il n’y a aucune preuve contre Claudia Playford, bafouilla Poirot.
Le voyant chanceler, je me plaçai derrière lui, prêt à le rattraper au besoin.

Lillieoaks

Niveau de satisfaction : 
3 out of 5 stars (3 / 5)

 

 

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