Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2018 (Actes Sud)
Genres : Roman noir, social
Personnages principaux : Anthony, Hacine, Steph, jeunes d’Heillange … et beaucoup d’autres
En 1992, à Heillange, ville industrielle de l’est de la France, sinistrée par la fermeture des hauts-fourneaux, les jeunes s’ennuient dans ce bled où les divertissement ne sont pas nombreux. Tout ce petit peuple désœuvré se rabat sur la picole, le shit et espère le sexe. Si les jeunes traînent leur peine, les adultes ne sont pas mieux depuis que l’usine Metalor a fermé. Après les plans sociaux, beaucoup se sont retrouvés au chômage. Dans ce contexte morose, les jeunes rêvent d’un ailleurs plus prometteur en se défonçant à l’alcool et aux drogues. Peu d’entre eux sont capables de réaliser leurs projets. Une seule réussira à s’échapper, c’est la fille d’un bourgeois, d’un notable local. Aucun des fils d’ouvriers ne s’en sortira, tous resteront englués dans cette région sans avenir. La coupe du monde de football de 1998 va les rassembler provisoirement dans un sentiment d’appartenance à un pays et dans une communion collective. Le miracle ne durera pas, le quotidien va s’imposer de nouveau.
L’auteur peint une région jadis prospère, quand l’industrie de l’acier tournait à plein régime, maintenant touchée de plein fouet par les délocalisations, elle est ravagée par le chômage. Elle est déclassée. Mathieu décrit cette situation avec beaucoup de finesse et d’intensité. De cruauté aussi et de cynisme parfois. Surtout dans la dernière partie du roman. Il fait un constat d’une grande lucidité, d’une incontestable vérité. C’est implacable et terrible. À ces moments là, l’auteur donne la pleine mesure de son talent.
Par contre dans les parties où il montre les jeunes, c’est beaucoup moins convaincant. Surtout quand il s’attarde sur leurs émois, inquiétudes et tourments sexuels, notamment ceux d’Anthony. Il y a là un petit côté roman d’ados. Ainsi nous avons droit au trouble d’Anthony quand il aperçoit un bout de soutien-gorge ou de culotte. C’est long et inutile à mon avis. Autre longueur dont on pourrait facilement se dispenser : les scènes de sexe détaillées. Que les jeunes couchent ensemble, rien de plus naturel, mais est-il vraiment indispensable de nous le décrire par le menu ? Il est beaucoup question de chatte (pas le félin, le sexe). Cela est-il sensé émoustiller le lecteur, tout en montrant l’étendue de son talent dans d’autres domaines que le social ? Après le roman d’ados, nous tombons dans le porno. Du porno pour ados. Du sexe aussi triste que la vie dans ce coin. Sans montrer une pudibonderie excessive, j’estime tout cela un peu superflu. Cela ne fait qu’ajouter du gras alors qu’une cure d’amaigrissement aurait été préférable me semble-t-il.
Dans le registre « ne m’a pas convaincu du tout » : les titres des différentes parties du livre, en anglais. Ainsi nous avons droit successivement à : Smells Like Teen Spirit (Nirvana) – You Could Be Mine (Guns N’ Roses) – I Will Survive (Gloria Gaynor). Celui de la troisième partie a échappé miraculeusement à l’anglicisation musicale avec 14 juillet 1996 : La Fièvre, là Mathieu n’a pas osé un Fever pourtant bien en accord avec les autres titres ! Peut être que la fête nationale française s’accommodait mal d’un titre anglais ?
La couverture est inesthétique à mon goût, pour ne pas dire hideuse, mais elle représente bien les amourettes tristes des jeunes qui occupent une part importante du roman.
Le titre du livre, Leurs enfants après eux, évoque le manque d’avenir pour une jeunesse condamnée à mener en ces lieux la même vie, qu’ils jugeaient détestable, que leurs parents. Avenir complètement bouché pour eux. Nicolas Mathieu en fait une démonstration implacable. C’est avec beaucoup de justesse qu’il dépeint ce désenchantement. On peut toutefois se demander si c’est de la compassion ou simplement du mépris qu’éprouve l’auteur pour ces gens de la France d’en bas tant ils sont montrés de façon avilissante. Ce roman est fort et sombre, indéniablement. Il est servi par une belle écriture et des phrases qui percutent. Mais malgré ces qualités manifestes, je suis resté assez mitigé et un peu déçu par rapport à l’excellente perception que j’avais eu du premier roman Aux animaux la guerre. L’impression globale est que l’auteur est sorti de la discrétion et de la sobriété de sa première œuvre. En incorporant des scènes de sexes, des chansons, il essaie de se montrer moderne et complet, non cantonné dans un étroit domaine social. C’est plus spectaculaire, mais il y a quelque chose d’artificiel, de calculé, de moins spontané et surtout de moins modeste que dans son premier roman.
Je dois reconnaitre que ce ressenti personnel n’est pas partagé par la plupart des chroniqueurs qui ont encensé le livre, ni par ceux qui ont procédé à la sélection pour le Prix Goncourt, puisque ce livre a été retenu parmi les huit encore susceptibles de décrocher le prix.
Extrait :
Au boulot, Anthony s’était fait quelques bons copains. Cyril, Krim, Dany, le Zouk et Martinet. Il était content de les retrouver le matin. Ils bouffaient à la cantine ensemble et fumaient des pet’ en cachette pendant les pauses, assis sur les palettes dans la petite cour derrière l’atelier C. Il les voyait aussi après le taf. Tous partageaient le même genre de loisirs, un même niveau de salaire, une incertitude identique quant à leur avenir et cette pudeur surtout, qui leur interdisait d’évoquer les vrais problèmes, cette vie qui se tricotait presque malgré eux, jour après jour, dans ce trou perdu qu’ils avaient tous voulu quitter, une existence semblable à celle de leurs pères, une malédiction lente. Il ne pouvait admettre cette maladie congénitale du quotidien répliqué. Cet aveu aurait ajouté de la honte à leur soumission. Or, ils étaient fiers, et notamment de ne pas être des branleurs, des profiteurs, des pédés, des chômeurs. Et de réciter l’alphabet en rotant aussi, pour ce qui concernait Martinet.
Nirvana – Smells Like Teen Spirit
Niveau de satisfaction :
(4 / 5)
Ah, intéressant ce bémol parmi la pléthore d’éloges ! J’ai tout de même lu hier l’avis de quelqu’un qui l’avait carrément détesté.. : http://depuislecadredemafenetre.blogspot.com/2018/10/leurs-enfants-apres-eux-de-nicolas.html
Je le lirai tout de même : 4/5, ce n’est pas si mal, et j’avais beaucoup aimé Aux animaux la guerre.
Ah oui ! La chroniqueuse de « Depuis le cadre de ma fenêtre » n’y va pas de main morte ! Par rapport à elle, je me trouve très nuancé.
On m’a déjà fait remarquer que, vu les réserves que je formule sur ce bouquin, on s’attendait à une note inférieure à 4 – 4 sur 5 c’est la moyenne pour moi (je ne note pas comme à l’école, je suis plus généreux). La moyenne donc car je trouve que le roman a quand même d’incontestables qualités … et aussi quelques défauts. Donc je suis assez mitigé : il y a des passages que j’ai apprécié et d’autres qui m’ont déplu, sans toutefois être autant exaspéré que celle qui écrit dans « Depuis le cadre de ma fenêtre ». J’irai voir ta chronique quand tu l’auras rédigée.