Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2014 (Actes Sud)
Genres : Roman social, roman noir
Personnages principaux : Martel, secrétaire du Comité d’Entreprise de Velocia – Rita, inspectrice du travail – et Bruce, Pierre Duruy, Patrick, Jordan, Victoria, Lydie, Les Benbarek, Victor Tokarev …
Velocia va fermer. C’est une usine d’équipements automobiles basée dans les Vosges, du côté de Saint-Dié. Personne ne se fait d’illusions, il reste seulement à retarder le plus possible l’échéance et à respecter les règles de licenciement. Martel, secrétaire du Comité d’Entreprise fait appel à Rita, inspectrice du travail pour y veiller. Mais Martel a un grave problème à résoudre : il doit rapidement renflouer la caisse du CE. Il manque 15 000 euros. Il a été amené à piocher dans la caisse du CE pour payer la maison de retraite de sa mère. Sans ça, avec 1 600 euros par mois il n’aurait pas pu la faire soigner. Maintenant à l’heure des comptes il doit trouver rapidement une solution. Futur chômeur avec des dettes, inutile de s’adresser aux banques. Selon Bruce, son copain d’usine, les Benbarek, peuvent lui fournir cet argent. Mais si les Benbarek prêtent, ils demandent aussi un service en échange : il faut kidnapper une prostituée et la leur livrer. Martel refuse d’abord mais l’examen des comptes du CE approche, il se décide à accomplir la mission avec son copain Bruce.
Il y a de nombreux personnages dans ce roman. Chacun représente un problème de la société. Pour Martel, le secrétaire du CE, c’est le manque de moyens financiers. Pour Rita, l’inspectrice du travail, c’est la solitude et le sentiment d’inutilité de son travail. Pour Bruce, le copain d’usine de Martel, c’est la drogue. Pour Patrick Locatelli, syndicaliste, c’est le manque de décision. Pour les adolescents, c’est l’absence de loisirs et l’ennui. Pour Victoria, la prostituée, c’est l’asservissement. Même les mafieux incarnent les symptômes des maux de la société. Les Benbarek représentent l’affairisme illégal. Et pour le proxénète Tokarev, c’est le stress du chef d’entreprise !
Tous les personnages sont des gens ordinaires, des petites gens qui se battent pour vivre ou survivre. Pas besoin de héros ou de personnalité charismatique pour réussir un excellent roman noir.
L’intrigue est astucieusement montée pour faire de toutes ces tranches de vie, une histoire cohérente. Le décor, les Vosges en hiver, contribue à accentuer l’impression d’enfermement et de morosité. Le cadre est un de ces lieux où en dehors du boulot les seules distractions sont la télé et le bistrot. Il y a une succession de scènes d’une grande vérité, qui nous sont familières. On se dit souvent avoir soi-même observé exactement la même chose. L’auteur nous montre ainsi un échantillon de la population française, celle qui galère en ces temps de crise, qui n’a pas souvent la parole.
Dans la dernière partie, l’action s’accélère, le roman tourne au thriller. La fin de l’histoire est ouverte : chacun peut imaginer sa propre issue. Cela laisse aussi la possibilité à l’auteur de reprendre dans un prochain livre, l’histoire où elle s’est arrêtée et de développer une suite.
Il y a dans l’écriture suffisamment d’humour et d’ironie pour provoquer des sourires et rendre le récit agréable et plus léger malgré la noirceur de l’histoire.
Le titre fait référence à la fable de la Fontaine Les animaux malades de la peste :
«La Peste (puisqu’il faut l’appeler par son nom)
Capable d’enrichir en un jour l’Achéron,
Faisait aux animaux la guerre.
Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés …»
Aux animaux la guerre est un roman ambitieux et parfaitement réussi. L’auteur est un jeune homme de 36 ans. Étonnant, pour un premier roman, de voir autant de maîtrise et de maturité. Incontestablement c’est un romancier à suivre.
– Extrait :
Depuis longtemps, ils le savaient, on leur avait dit à la télé : ils n’en mourraient pas tous, mais tous seraient frappés. C’était leur tour. Tout de même, ça faisait drôle. Comment c’était possible de finir là, éberlués, moitié bourrés dans la cour de l’usine ? Le boulot parti. Ailleurs, d’autres hommes qui prenaient leur place, Chinois, Indiens, Roumains, Tunisiens, métèques innombrables et invasifs. Des feignants pourtant, il suffisait de voir leur comportement dans les collèges, en Seine-Saint-Denis, partout dans la télé. C’était à n’y rien comprendre. Mais ceux-là, bronzés, bridés, plombiers polonais, avaient le grand mérite : ils ne coûtaient pas.
À moins que ce ne soit la faute des autres, les organisateurs. On ne les voyait pas souvent, quand venait l’heure des élections à la limite. Certains condescendaient alors à faire le déplacement. C’était l’occasion de leur expliquer vos emmerdements, les plus quotidiens, problèmes de voirie, de voisinage, les études de la cousine, la pension de mémé, ils n’étaient plus du tout regardants, vous donnaient toujours raison alors. Une fois le scrutin dépouillé, c’était une autre histoire. Ils se volatilisaient soudain, regagnant leurs palais où s’organisent les martingales macroéconomiques. Au bistro du coin, on refaisait le match et constatait que l’économie était de plus en plus micro pour ce qu’on en savait.
Bientôt, Laurent alluma la radio. Sardou chantait Dans les villes de grande solitude.
— Manquait plus que ce con, fit Rita en ouvrant son parka.
Elle avait hâte d’être à la maison. Elle avait tort.
Michel Sardou – Les villes de grande solitude
Ma note : (4,5 / 5)
Coup de cœur
Noté ma poulette !! 😛