Le tueur des abattoirs – Manuel Vázquez Montalbán

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 1987 (Pigmalion y otros relatos)
Date de publication française : 1991 (Seuil)
Traduction : Catherine Derivery
Genre : 17 récits sur l’Espagne d’hier et d’avant-hier
Personnage principal : variable

J’ai lu avec plaisir tous les Montalban qui mettaient en scène le fameux détective catalan Pepe Carvalho, qui avait travaillé pour le PC et la CIA puis, plus mûr, avait pris ses distances par rapport à tout groupe totalitaire. Gastronome et anarchiste, il sympathise avec les mal foutus, brûle ses livres d’intellectuel (qu’il fut dans sa jeunesse), et adore mettre des grains de sable dans l’engrenage politique, faussement qualifié de postfranquiste (idéologiquement parlant). Faut avoir lu, au moins, Meurtre au comité central (1982), Les Thermes (1989) et Le Prix (2000). C’était malheureusement avant l’existence de Sang d’Encre Polars (sauf pour ce qui est de Milenio, son roman-testament, dont j’ai rendu compte en 2013). Le livre dont je dirai maintenant quelques mots n’est, hélas, ni un Pepe Carvalho ni un vrai polar, mais je tenais à attirer l’attention de nos lecteurs sur ce grand écrivain espagnol qu’est Montalban (1937-2003).

Le tueur des abattoirs rassemble 17 nouvelles, pas particulièrement policières, malgré quelques meurtres ici et là. Il y a plusieurs années, j’avais laissé tomber ce roman, frustré qu’il ne soit pas un polar. L’intérêt qu’on peut néanmoins y trouver, c’est le caractère de Montalban, souvent ironique, toujours nostalgique, déçu finalement de ce que l’Espagne est devenue après la guerre, mais même après mai 68 qui, en Espagne, comme en France et en Allemagne, comme chez nous aussi au Québec, a suscité beaucoup d’espoirs et de grandes déceptions.

Ces nouvelles datent de 1965 à 1987. La quatrième de couverture insiste sur « la conscience d’une époque et les contradictions d’un pays aux prises avec sa mémoire et incertain de son avenir ». Il y a sans doute un peu de ça, mais les personnages et les décors construits par Montalban insistent surtout sur la naïveté et le plaisir de nos 20 ans, la sexualité comme fausse solution, l’absence de solidarité même chez des gens (je pense aux professeurs d’université) qui ont des objectifs communs mais une rivalité impitoyable. Ces traits de caractère se retrouvent en bonne partie chez le détective Carvalho qu’on récupère donc, indirectement, dans ces nouvelles.

Parfois difficiles à lire mais soutenues par un humour sympathique (souvent noir) (comme dans Le lâche assassinat d’Agatha Christie), ces nouvelles ne sont pas faites pour tout amateur de polars; elles intéresseront particulièrement ceux et celles qui cherchent à connaître les auteurs derrière les romans, Christie derrière Poirot, Conan Doyle derrière Sherlock, Stout derrière Nero Wolfe… Il me semble aussi que ces nouvelles parleront davantage à un Espagnol, malgré l’universalité des traits de caractère et les ressemblances réelles des événements historiques.

Extrait :
Poirot donna les instructions appropriées sur le comportement à suivre – le même qu’avec n’importe quel cadavre – et fit part de ses observations à son fidèle Hastings. La qualification de fidèle était du domaine public, et même les servantes parlaient du capitaine dans ces termes : « Je viens de porter le thé au fidèle capitaine Hastings ». « Le fidèle capitaine Hastings m’a chargé de lui raccourcir un peu plus les manches de sa chemise ».
Quand le surintendant de Scotland Yard arriva et tomba sur le couple de fins limiers, il sursauta et commenta de mauvaise humeur :
« Poirot et le fidèle Hastings ! Si j’avais su, je ne serais pas venu. Avec vous deux, l’affaire va être résolue en quelques secondes.
– Ne croyez pas cela, inspecteur Fields. Mes ‘petites cellules grises’ sont en activité depuis un bon moment et l’affaire est extrêmement compliquée. Pour commencer, sur un guéridon se trouve un plateau, avec une bouteille de porto et un verre… vide. Pourtant, James a découvert le cadavre précisément au moment où il apportait le porto ».

Niveau de satisfaction :
ne s’applique pas dans ce cas-ci

 

 

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