Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2019 (Alire)
Genres : Espionnage, thriller, historique
Personnage principal : Francis Lemay, Gendarmerie royale du Canada
J’avais bien aimé Opération Iskra de Lionel Noël et, avec plaisir, j’ai retrouvé une ambiance et une écriture semblables dans ce roman. Au centre de l’intrigue, le détournement d’un des convois de l’Halifax Express, un train chargé de transporter une partie des 800 millions de livres sterling de Halifax à Ottawa via Montréal. Churchill et King se sont entendus pour mettre à l’abri en sol canadien la totalité du Trésor national britannique, au cas où l’Allemagne finirait par envahir l’Angleterre. Des oreilles indiscrètes ont appris le projet; l’information est communiquée au criminel Sean Finnegan, qui organise un vol du train entre Halifax et Montréal. On est en juillet 1940.
La réputation du braqueur de banques Sean Finnegan datait de loin. En septembre 39, la GRC lui avait tendu un piège : la banque Dominion de Toronto attendait un fourgon blindé chargé d’un transfert d’argent considérable. En réalité, le fourgon et la banque dissimulaient une vingtaine de policiers armés. S’ensuivit une violente fusillade où l’ami du sergent Francis Lemay fut tué et d’où échappa miraculeusement Finnegan. Depuis ce temps, Lemay le traque impitoyablement.
Le récit de Noël est divisé en deux parties, chacune possédant sa propre intrigue. D’une part, en 39-40, le début de la guerre et le piège raté tendu à Finnegan, la traque de Finnegan par Lemay dans le Red Light1 montréalais, jusqu’à la préparation du détournement du Halifax Express. D’autre part, à la fin de la guerre, et alors que les Soviétiques contrôlent Berlin Est, Lemay est envoyé à Ravensbrück supposément pour rapatrier Delphine Sauvé, qui avait été la compagne de Finnegan, et probablement la seule à savoir ce qu’il est devenu. C’est en l’interrogeant qu’il saura ce qui s’est passé après le vol de la cargaison du train. Mais, cherchant à rentrer à Berlin Est, accompagnés du major Vassilevski poursuivi par les sbires de Béria, Francis et Delphine ne sont pas au bout de leur peine. Et Francis finira par s’apercevoir qu’il a peut-être été manipulé par son oncle Charles des Services Secrets. Et ce n’est pas la dernière de ses surprises.
Noël décrit avec précision Québec et Montréal au début de la guerre, particulièrement ce qui se magouille dans le Red Light. On est assailli par les odeurs de bières et de vomissures, et ébranlé par ces jolies jeunes femmes qui offrent leurs charmes. La conscription ne mettra pas fin à ces activités; bien au contraire. Les descriptions des effets de la déroute allemande, des villes et des routes détruites, et de la domination des Russe qui asservissent les Allemands, tout autant qu’ils sont manipulés par Staline et le NKGB (ancêtre du KGB), sont impressionnantes. J’ai parfois pensé à Alistair MacLean.
La force de Noël, c’est aussi la pluralité des intrigues et l’habileté des rebondissements; l’auteur aime jouer avec le lecteur, qui doit rester sur le qui-vive. Si c’est vrai qu’on peut lire Halifax Express comme un roman historique, ce serait à la condition que l’historien ait été contaminé par des récits d’espionnage.
1 On appelle Red Light le quartier de Montréal qui s’étend sur la rue Saint-Laurent au sud de Sherbrooke jusqu’au Quartier chinois; il est réputé pour la prostitution, la drogue, le crime organisé géré par la mafia.
Extrait :
Excédé par la chaleur, Francis baisse la vitre du wagon pour laisser s’infiltrer un souffle d’air. Le soleil est couché depuis un moment, l’obscurité le plonge dans une incertitude grandissante. Dans le compartiment au confort spartiate, l’atmosphère s’alourdit. Aucun des vingt-quatre convoyeurs en attente de leur tour de garde ne parvient à calmer ses angoisses. La Thompson posée sur les genoux, sa casquette de mécano rabattue sur le visage, la respiration lentement contrôlée, seule Anne Doucet1 somnole tranquillement. Personne n’a osé émettre une remarque sur sa présence ici, même si Francis se doute que tous pensent que ce n’est pas un endroit pour une femme. Et même si, depuis la descente chez Manzani, plusieurs savent de quoi elle est capable avec une arme en main.
1 Voir : Opération Iskra.
Niveau de satisfaction :
(4,4 / 5)