Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2020
Genre : Noir, Thriller
Personnage principal : Lorie Soulanges, jeune campeuse
J’aime bien les écrits de Maureen Martineau, très ancrée dans les terroirs québécois (Tingwick et le Centre-du-Québec, Hull-Ottawa, Nunavic, et aujourd’hui : Haute-Mauricie); très originale aussi. Dans son roman d’aujourd’hui, comme elle l’avait fait dans Une église pour les oiseaux, elle nous révèle ses talents de conteuse.
C’est d’abord l’histoire de la jeune Lorie, à peine 20 ans, qui a décidé d’aller faire du camping à Zec la Croche1, au nord de La Tuque, là où sa mère a été assassinée l’année précédente, alors que, pour une fois, elle avait refusé de l’accompagner. C’est aussi l’histoire de deux Atikamekws2, Mikona et sa fille Sylvette, qui plantent leur tente à 2 km du barrage de l’Hydro-Québec sur la Saint-Maurice, et qui poursuivent une mission qui leur apporterait la paix de l’esprit. Pas très loin de Lorie puisque, quand Mikona tire un coup de feu, Lorie l’entend. C’est enfin l’histoire d’une ourse, solitaire et enceinte, qui rôde dans les environs pour trouver de la nourriture et un endroit sûr où elle pourra mettre bas avant que commence la saison de la chasse.
On se doute bien que ces histoires vont se recouper. Ces trois femmes sont liées par un passé tragique : l’assassinat de la mère de Lorie; l’agression contre la fille et la nièce de Sylvette. Dans ce dernier cas, l’agresseur a été identifié mais l’enquête n’a pas abouti : les Autochtones n’ont ni l’argent ni le statut nécessaires pour espérer gagner une poursuite ou un procès. Mais elles ont la souffrance qui alimente la rancune. Lorie échappe de justesse à une tentative de viol, et les trois femmes forment maintenant un dangereux trio. Un suspect et un éventuel complice sont dans la mire des vengeresses. Ont-elles trouvé le véritable coupable ?
Très simplement, Martineau déroule une aventure plutôt noire, tout en rappelant, mine de rien, quelques injustices faites aux femmes, particulièrement aux Autochtones (l’auteure s’est explicitement inspirée des abus commis dans la région de Val D’Or), d’autant plus que la pourvoirie de Zec la Croche se trouverait sur leur territoire. Les paysages sont majestueux et les barrages très utiles, mais on a tendance à oublier les villages d’Obedjiwan qui ont été inondés quand on a mis à l’eau le réservoir Gouin.
Cet engagement social de Martineau, qu’on retrouve dans tous ses romans, ne l’empêche pas de construire des récits attachants et captivants, bien servis par une écriture simple et claire.
1 ZEC : zone d’exploitation contrôlée.
2 Les Atikamekws sont issus de la grande famille algonquine. Ils occupent les territoires qui s’étendent du Nord-est canadien au Sud-ouest américain.
Extrait :
L’ourse nage dans le petit lac que forme l’élargissement de la rivière Saint-Maurice au-dessus du barrage de La Trenche. L’endroit regorge habituellement de truites, mais la saison de la pêche a été achalandée et les eaux sont vides. N’empêche, se rafraîchir calme la faim. La bête agite les pattes pour contrer le courant, mesurant la puissance de ses muscles. Sa force est grande. À son âge, les loups et les coyotes ne sont plus une menace. Elle domine tous les prédateurs par sa vitesse et sa capacité à grimper aux arbres. Ne reste que les humains dont il faut se méfier.
Son ventre reprend sa plainte. Où trouver des baies ? Juin a été catastrophique. Un gel tardif et des pluies diluviennes ont empêché les framboisiers et les rosiers sauvages de fleurir. Ce n’est pas en grignotant des racines qu’elle réussira à accumuler la graisse nécessaire pour traverser l’hiver.
L’ourse regagne le rivage, s’ébroue vigoureusement. Le soleil couchant se mire dans les perles d’eau qui s’accrochent à son pelage. Elle soulève quelques roches, grappille un amas de fourmis. Si elle crève, ce sera de faim et non de la balle d’un chasseur. Elle a appris à déjouer les pièges.
Les arbres allongent leurs ombres. Il est temps pour l’ourse de regagner sa cache.
Niveau de satisfaction :
(4,2 / 5)