Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2020
(Libre Expression)
Genres : Enquête, géographique (Gaspésie)
Personnage principal : Joaquin Moralès, sergent au poste de police de Bonaventure
J’avais lu avec plaisir Nous étions le sel de la mer. La mariée de corail appartient à la même série : mêmes lieux, mêmes paysages superbes de la Gaspésie dont les levers de soleil sur l’Ile Bonaventure, mêmes pêcheurs de homards ou de crevettes, de maquereaux et de bars, même genre de personnages, méfiants (les travailleurs de la mer) et accueillants (les restaurateurs et les aubergistes). Et surtout : même langage simple (sauf quand ça touche les techniques de pêche ou les jeux de la mer), et poétique. On dit souvent qu’un roman est bien écrit quand on n’a pas grand chose d’autre à dire; ce n’est pas le cas ici : Bouchard prend plaisir à utiliser des métaphores marines pour désigner les sentiments des pêcheurs et pour imiter la parlure gaspésienne. Toujours avec une pointe d’humour : « Que votre enquête ne fasse pas trop de vagues, Moralès » !
Alors qu’il prévoit prendre des vacances pour s’occuper de son fils, Sébastien, qui traverse une mauvaise passe, Moralès est envoyé au poste de police de Gaspé pour s’occuper de la disparition d’une rare homardière de la région, Angel Roberts : au cours d’une fête de fin de saison, Clément Cyr offre à sa femme Angel, fatiguée, de la reconduire à la maison, avant de revenir au party et de rester coucher à l’auberge. Le matin, de retour à la maison, il constate que sa femme n’est y pas, son auto non plus, et, au quai, son homardier est disparu, Angel aussi. On retrouvera le bateau, mais pas Angel.
Moralès a pris de l’expérience depuis qu’il travaille dans le coin; il a maintenant 52 ans, est séparé pratiquement de sa femme qui vient d’acheter un condo à Longueuil, communique difficilement avec son fils aîné Sébastien, est attaché à la Gaspésie, mais demeure pour tout le monde un gars de la ville. Ce n’est pas le policier le plus brillant, ni le plus débrouillard, mais il est honnête, tenace et brave. Il a beaucoup à apprendre, mais il apprend vite. Il obtient le respect de l’agent Lefebvre du poste de Gaspé et neutralise en bonne partie l’agressivité de l’agente Lord. L’enquête est longue, permettant ainsi qu’on se familiarise avec plusieurs personnages, qui ont presque tous un rapport avec Angel, mais les secrets sont durs à déterrer. Pourtant, pour résoudre le mystère de la disparition d’Angel, il faut connaître aussi bien le passé intime de plusieurs personnages depuis le moratoire sur la pêche à la morue de 1992, que le rythme des marées, et les caprices des courants.
Se mêlent à cette enquête et la pertubent quelque peu, les problèmes de Sébastien qui se demande s’il va continuer à vivre avec sa femme, Maude; les problèmes de Joaquin, délaissé par sa femme, mais qui ne s’ennuie pas, même s’il est clairement en manque, libidinalement parlant. Les rapports entre Joaquin et Sébastien, qui ont de la misère à se parler même s’ils s’aiment bien.
L’important, c’est que les détails de l’enquête, les relations complexes entre les personnages, la typicité du contexte gaspésien, tous ces éléments s’imbriquent efficacement et contribuent au plaisir de la lecture.
Bref, un bon polar régional, à l’écriture délicate et à la composition efficace.
Extrait :
Le véhicule tourne dans la cour de la maison bleue. Simple, mais coquette, la demeure d’Annie Arsenault est entourée d’arbres. Seul le côté sud est dégagé, celui qui offre une vue partielle sur la mer. En stationnant sa voiture, Moralès aperçoit un grand potager, à l’arrière, qui chevauche le terrain d’Angel Roberts. Des assiettes d’aluminium, accrochés à des fils fixés à de longues branches de bois plantées dans la terre, virevoltent dans le vent d’ouest, font fuir les oiseaux. Une clôture en treillis le protège contre l’assaut des chevreuils et des lièvres. La partie ouest est recouverte par les feuilles jaunies des haricots grimpants. Du côté nord, les piquets en désordre ont été cordés debout, en palissade brouillonne, après que les plants de tomates se sont flétris et qu’on les a arrachés. Juste devant, des fleurs penchent lourdement leur corolle brunie vers le sol.. À travers le treillis, les taches orange des citrouilles, le vert tendre des choux d’automne et l’ocre quasi roux de la terre retournée créent une œuvre pointilliste automnale. Derrière le potager en pente, le bac de bois contenant le compost et un petit cabanon sur le côté duquel des outils aratoires sont accrochés complètent l’espace.
Niveau de satisfaction :
(4,2 / 5)