Par Michel Dufour
Date de publication originale :
2011 (Fall from Grace)
Date de publication française :
2021 (Alire)
Traduction (anglais du Canada) :
Pascal Raud
Genres : Enquête, thriller
Personnage principal : Leo Desroches, journaliste
J’avais bien aimé Les Traîtres du Camp 133, écrit en 2016 et publié chez Alire en 2018. L’Automne de la disgrâce a été écrit en 2011; c’est le début d’une série qui met en vedette le journaliste Leo Desroches, dont le père est Canadien français et la mère est originaire de la nation crie (l’inverse des parents de l’auteur). Cette série est plus personnelle que le roman de 2018 : Desroches, même s’il est passablement assimilé, est plus conscient de sa tradition autochtone; il ne parle pas crie, français non plus, mais il s’intéresse à la culture crie, envisage d’en apprendre la langue et subit même l’expérience initiatique de la sudation.
C’est peut-être pourquoi, comme journaliste, il prête plus d’attention à la mort d’une jeune Autochtone assassinée, dont le corps a été abandonné en plein champ dans la banlieue d’Edmonton; et qui serait peut-être la plus récente d’une série de disparitions et de meurtres de femmes amérindiennes. L’Edmonton Journal endosse et encourage les recherches de Leo, même quand ça risque de faire trop de bruit parce que des policiers paraissent avoir été mêlés à ces disparitions, soit par inaction soit par une implication directe; des policiers, dont plusieurs sont aujourd’hui des haut gradés. Un tueur en série aurait-il été protégé par les forces de l’ordre ?
Leo semble être sur une bonne piste parce que deux sombres individus (probablement des policiers ou des ex) l’enlèvent, le traitent au taser et le laissent pour mort loin de la ville alors que la température frise les -20°. Rescapé in extremis, Leo se repose un brin, rebondit, se fie sur un mauvais indice pour découvrir celui qu’il croit être le tueur en série, s’aperçoit qu’il s’est trompé, réajuste son tir, et se prépare pour le dernier règlement de compte.
Comme souvent, dans un premier roman, l’auteur en met beaucoup. L’enquête policière, plutôt journalistique parce que Leo ne compte pas vraiment sur l’aide de la police, insiste surtout sur le fonctionnement interne d’un grand journal, sur la vie dans les Prairies (particulièrement à Edmonton), sur les relations entre journalistes, policiers et pouvoirs politiques, sur la vie difficile des Autochtones, victimes d’une tentative de génocide par l’Église catholique, puis marginalisés dans une société plus laïque mais à peine moins ostracisante. Tout cela est sans doute intéressant, mais le suspense perd de sa densité.
Par ailleurs, Arthurson a fait bien des recherches et ça paraît : son souci pédagogique (salle d’un grand journal, culture amérindienne, interactions des corps policiers…) ralentit souvent l’action, elle-même retardée par les multiples introspections de Leo qui semble avoir à cœur de raconter surtout ses états d’âme.
Enfin, le personnage de Leo est original mais je trouve agaçant son prêchi-prêcha sur le fait que s’il y a des mauvais flics, il y en a aussi des bons, et que, de toutes façons, « nous sommes tous capables de meurtre, nous sommes tous capables du mal le plus terrible, nous pouvons tous être des monstres ». Mais « nous sommes tous capables de grandeur, de faire des choses merveilleuses et incroyablement bonnes… ». Passer du fait qu’il existe des monstres et des saints parmi nous au fait que nous sommes tous monstres et saints, c’est se vautrer dans des fantasmes de curé qu’on croyait dépassés.
Extrait :
Je sentais que Conlee ne méritait pas le même genre de reportage sur sa vie que Grace. Il me semblait qu’à chaque horrible meurtre ou acte violent, tout le monde – pas seulement les médias, mais bien les lecteurs et les consommateurs de médias – était avide de lire autant d’informations que possible sur le meurtrier.
C’était le nom du criminel qui avait le plus d’écho, qui était gravé dans la mémoire de l’événement, alors qu’en vérité c’étaient les victimes qui méritaient d’être commémorées. Il était triste que la plupart des gens se souviennent du nom du fils de Sam ou du type qui a tué quatorze femmes à la Polytechnique de Montréal, mais que presque personne, à part les familles, ne se rappelle le nom des personnes assassinées. Le meurtrier devait être oublié, mais pas l’acte qu’il avait commis. Car si nous nous rappelions l’acte, nous pourrions peut-être empêcher qu’il se reproduise
Niveau de satisfaction :
(3,4 / 5)