La maison du commandant – Valerio Varesi

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2008
(La casa del comandante)
Date de publication française : 2021
(Ed. Agullo, Points)
Traduction (italien) :
Florence Rigollet
Genres :
Enquête, géographique
Personnage principal :
Commissaire Soneri (Parme)

Écrit quatre ans plus tôt, La pension de la via Saffi, bel hommage à la ville de Parme, m’avait un peu déprimé parce que le commissaire Soneri était pas mal déprimant. J’espérais le trouver un peu mieux aujourd’hui.

Tronçon de la plaine du Pô, entre Parme et Plaisance, la Bassa, brumeuse et boueuse, constitue un décor idéal pour des trafiquants slaves qui pêchent le silure, des spéculateurs qui volent le sable du fleuve, et un gang qui traite à l’explosif des distributeurs de banque. Pas de quoi remonter le moral de Soneri qui erre à l’aveugle dans la boue et qui est loin d’en avoir fini puisqu’on vient de découvrir deux cadavres remontés à la surface du fleuve en crue, qui ne ménage rien et charrie des odeurs insoutenables. Et Capuozzo, son chef, ne l’apprécie vraiment pas : Soneri se sent poussé à la retraite. D’autant plus que l’enquête n’avance pas tellement. Et que le commissaire est de plus en plus écœuré par la pollution qui pourrit le fleuve et le paysage, par le laisser-faire des autorités, par l’égoïsme et le je-m’en-foutisme de chacun : on vient de découvrir un héros de la résistance qui est mort seul chez lui, dont le décès n’a été signalé par personne, et qui a été découvert par hasard longtemps après.

Son amie Angela et le patron du restaurant Stendhal, Bruno, tentent en vain de le sortir de sa déprime, mais, pour Soneri, les aliments jouent le rôle de médicaments et les ébats érotiques avec Angela remplissent une fonction analogue à la masturbation : sur le coup ça soulage, mais ça n’offre pas de satisfaction durable. Enfin, les longues discussions philosophiques sur la déchéance du monde d’aujourd’hui achèvent d’épuiser Soneri. Même la capture des coupables ne suffira pas à lui rendre la joie, hanté qu’il demeure par les mots de Consolini : « C’est un crime de voler ceux qui le font systématiquement en étant protégés par vos lois iniques ? Toi, policier, tu défends les voleurs qui gouvernent le petit théâtre de notre présumée démocratie. Tu ne sais pas que les mafias y ont leurs propres représentants ? Tu ne vois pas qu’ils se foutent de ta gueule ? Ceux qui t’ordonnent de capturer les boss sont les mêmes qui négocient les affaires. Mais il te faut quoi comme merdier pour te révolter ? Tu n’as pas un peu de dignité ? »

C’est vrai que l’enquête m’a paru ensevelie sous les plaidoyers idéologiques (assénées aussi avec vigueur par Nocio, l’ami solitaire de Soneri). Ils jouent pour beaucoup dans cette impression que le commissaire est toujours un peu perdu. C’est pourquoi l’enquête m’a semblé passer au second plan, comme dans La pension de la via Saffi, sauf que, dans ce dernier cas, elle était encore consistante.

Extrait : (Nocio et Soneri)
Tu l’aimes, toi, cette société où les arrogants et les malhonnêtes dirigent les gens bien ? où les pires gouvernent les meilleurs ? où la méchanceté est toujours victorieuse ? Tu l’aimes, ce monde où tout s’achète ? La justice, la respectabilité, le droit d’être aux commandes ? Pourquoi on n’aurait pas le droit de prendre un flingue quand y a des gouvernants qui peuvent décider de condamner à mort des milliers d’enfants par une simple opération monétaire, ou qui choisissent de planter du maïs pour produire du gas-oil au lieu de produire à bouffer ? Essaye de te mettre dans la peau du père d’un gosse condamné à crever de faim, et pose-toi la question : tu n’épaulerais pas un fusil ? T’as déjà vu les yeux d’un môme qui crève de faim ? (…) Le plus humain, c’est quoi ? Donner à manger à celui qui réclame ou tirer sur celui qui affame ? (…)
Si les délinquants gouvernent, alors moi aussi, je fais ce que je veux. C’est très pratique : chacun devient arbitre et établit ses propres règles. Qui peut l’empêcher ? Toi, le flic ? Qui tu représentes ? Tu t’es déjà posé la question ? De qui tu es le gendarme ? Tu le sais ou tu le sais pas que tu es payé par ceux qui font les guerres et qui affament les peuples ?

Le Pô en crue

Niveau de satisfaction :
3.4 out of 5 stars (3,4 / 5)

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