Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2022 – Les Éditions de Minuit
Genre : Polar décalé
Personnages principaux : Melvil et Luisa Hammett, couple de vacanciers en Sicile
Il y a quelques nuages noirs sur le couple Hammett, Melvil et Luisa. Pour calmer le jeu, Melvil propose une semaine de vacances en Sicile. En route, impatient d’arriver le plus rapidement possible sur une plage, le mari prend une mauvaise sortie d’autoroute. Cela les amène dans un terrain vague. Une pluie torrentielle se déclenche quand ils tentent de revenir sur l’autoroute par un chemin de terre. Ils n’y voient qu’à quelques mètres quand un choc sur la carrosserie leur indique qu’ils ont heurté quelque chose. Arrivés à leur destination, à Taormine, ils constatent que l’aile avant droite de leur voiture est méchamment esquintée. Qu’ont-ils pu percuter pour faire ces dégâts ? Inquiet, Melvil décide que le mieux est de faire réparer en douce leur véhicule et de ne rien déclarer à la société de location ni à la compagnie d’assurance. Cette initiative qui devait les tranquilliser s’avère au contraire malencontreuse.
Yves Ravey a l’art de montrer comment des situations ordinaires peuvent devenir dramatiques quand une accumulation de petits ennuis finit par provoquer un gros problème : une mauvaise sortie d’autoroute, un choc sur la voiture, un doute sur la chose cognée, une réparation préventive, un garagiste profiteur, un enfant retrouvé mort, des policiers sur leurs traces, la fuite, l’exfiltration, le passage de la frontière et finalement des vacanciers qui finissent en réfugiés clandestins. Chaque décision que prennent les Hammett s’avère fâcheuse. Le couple est pris dans une tourmente d’évènements négatifs. Ils sont ballottés dans des situations de mal en pis, sans maîtriser quoi que ce soit.
Les deux personnages principaux sont le mari et la femme d’un couple qui bat de l’aile. Melvil se veut rassurant alors qu’il n’est pas trop rassuré lui-même. Il essaie de s’autoconvaincre que tout va bien et il fait ce qu’il peut pour rassurer Luisa. Il fait preuve de mauvaise foi pour se justifier. Ce n’est pas un vrai méchant comme on en trouve dans certains thrillers, c’est un lâche qui fuie ses responsabilités. En choisissant de régler ses problèmes par des solutions de facilité, il s’enfonce de plus en plus. Melvil est un salaud ordinaire. Luisa, elle, est belle et incontrôlable. Elle fait ce qu’elle veut, souvent sans tenir compte de l’opinion de son mari. Elle a toujours le dernier mot. Luisa a fait une liste des lieux à absolument visiter et elle est très contrariée quand le planning des visites n’est pas tenu. Elle parle italien, alors que Melvil ne le comprend pas, c’est donc elle qui mène les discussions avec les gens du cru. Il y a aussi entre eux une différence de classe sociale : elle est la fille du célèbre professeur en médecine Gozzolli alors que lui est au chômage, parce qu’il a toujours refusé des offres qu’il juge pas assez rémunérées ou sans voiture de fonction. L’argent du professeur améliore bien le quotidien du couple.
Nous ne sommes pas ici dans un thriller échevelé avec beaucoup d’action et des héros inoxydables. Taormine est un roman d’une grande simplicité, avec des gens ordinaires et beaucoup d’ironie. Il est imprégné d’un humour discret, pince-sans-rire. C’est une lecture agréable, un polar malicieux et décalé typique du style d’Yves Ravey (voir Trois jours chez ma tante).
Extrait :
Oui, je comprenais, c’était très simple à expliquer : Voilà, monsieur Michelini, nous sommes venus en Sicile pour voir la mer, alors nous avions l’intention de nous rendre sur une plage, le plus tôt possible, vous comprenez, nous, nous visitons le pays, mais, question de temps, nous n’avons que quelques jours à notre disposition… Et alors, pourquoi, après avoir vu la mer, ne pas se rendre directement à l’hôtel ? Votre chambre était payée. Pourquoi quitter l’autoroute ? et, dans ce cas, dans quel hôtel avez-vous passé la nuit, je suis curieux ? Ma fille m’a rapporté, vous n’êtes arrivés que le lendemain, c’est d’ailleurs l’explication qu’elle a fournie aux carabiniers. J’ai répondu que, si j’avais changé de direction, c’était par sécurité. Je me suis penché vers le patron : Je vous dois cette confidence, ai-je baissé la voix : suite au choc contre ma voiture, j’ai craint d’être suivi. Oui, je sais, à première vue, ça peut paraître déplacé, mais c’est comme ça, allez savoir. J’ai pensé aussi qu’il était tard, et que je n’allais pas me présenter à l’hôtel à une heure pareille, débarquer comme une fleur, réveiller le gardien, alors je n’ai pas réfléchi, et j’ai pris la première sortie… J’ai laissé un temps pour observer sa réaction. Il ne m’a pas semblé très convaincu.
Niveau de satisfaction :
(4 / 5)