Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2023 (Calmann-Lévy)
Genres : Enquête, noir
Personnage principal : Lieutenante Maëlys Mons
Tackian produit un roman par année depuis 2016. Ray a déjà commenté La nuit n’est jamais complète (2016) et Solitudes (2021).
La lisière commence par un bon problème : la famille Legoff (Vivian, Hadrien, et leur fils Tom) roule dans les monts d’Arrée, massif breton qui se caractérise par les landes, les roches et les marécages. La voiture paraît soudain avoir heurté quelque chose; elle s’arrête. Tom et Hadrien descendent de l’auto pour voir ce qu’il en est. Ils cherchent tellement longtemps que Vivian sort à son tour du véhicule. Les deux hommes ont disparu ! Vivian aperçoit un homme armé d’une hache qui se dirige vers elle. Elle se sauve et est recueillie par un camionneur qui la conduit à un poste de gendarmerie. La lieutenante Maëlys Mons, chef de la brigade de Carhaix-Plouguer, l’interroge. Une patrouille se rend sur place, mais un orage sévit, on ne trouve aucun indice; et la voiture est disparue !
C’est le début d’un long calvaire pour Vivian.
Aidée par la psychiatre Eva Blair, Vivian tente de retrouver son mari et son fils, son fils surtout, à travers ses rêves. Tackian est ici très habile : à quelques reprises, on a l’impression que Vivian les retrouve, mais ce n’est qu’un rêve ou une hallucination. On comprend que Vivian perd peu à peu sa capacité à distinguer la réalité et le produit de son imagination.
Pendant ce temps, les gendarmes enquêtent. On retrouve l’automobile dans le coffre de laquelle a été abandonnée la hache souillée du sang d’un jeune délinquant, Ronan Morel, soupçonnée également d’avoir assassiné un vieil homme innocent, Jean-Hugues Lefranc. Ronan aurait été mêlé à des livraisons de drogues. Le rapport avec les Legoff n’est pas évident. Mais les attaques contre la belle-mère, puis contre la psychiatre de Vivian, permettent d’échafauder une nouvelle hypothèse qui rendrait possible de relier ce trafic de drogues à la disparition de Tom et Hadrien.
Comme dans ses autres romans, la description de l’environnement est importante, d’autant plus que ces coins de Bretagne sont hantés par l’Ankou[1] et par d’autres légendes ésotériques, ce qui laisse flotter dans l’air un vent de mystère et de fantastique, autre dimension chère à Tackian. Mais ici, l’auteur se compromet davantage à travers la psychiatre portée sur la psychanalyse, Eva Blair, qui accorde aux rêves un rapport à la réalité qui dépasse ce que Freud en avait dit. Par ailleurs, la solution au problème de la disparition de Tom et Hadrien repose sur une théorie psychologique qui ne plaira pas à tout le monde. On n’est pas loin du lapin tiré du chapeau ! Il me semble évident que, pour Tackian, la description du problème est plus importante que sa solution.
[1] L’Ankou est une figure majeure de la mythologie bretonne, revenant souvent dans la tradition orale et les contes de Basse Bretagne. Il ne représente pas la mort en elle-même, mais son serviteur : son rôle est de collecter les âmes des défunts. (Google)
Extrait :
La gendarmerie de Carhaix-Plouguer se trouvait à l’angle de deux rues désertes. À cette heure tardive, rien ne venait troubler le calme de cette petite ville située à une vingtaine de minutes des monts d’Arrhée. C’était un bâtiment modèle en L d’un étage dont l’entrée se faisait par une structure en rotonde lambrissée de bois. Le chauffeur routier déposa Vivian à l’accueil de permanence en laissant ces coordonnées ─ au cas où. Elle se retrouva face à une jeune gendarme qui écouta le récit des événements avec attention avant de décrocher son téléphone pour appeler un supérieur, Quelques minutes plus tard, une femme brune aux chevés attachés en chignon portant un uniforme piqué de deux barrettes blanches se présenta.
─ Lieutenante Maëlys Mons, c’est moi qui dirige la brigade, dit-elle en lui tendant une longue main à la poigne vigoureuse.
Elle l’accompagna jusqu’à son bureau, avant de retirer sa veste en lui faisant signe de s’installer.
─ Je vais me faire un café, vous en voulez un ?
Vivian refusa de la tête tout en remarquant que la gendarme ne la quittait pas du regard. Elle avait les yeux en amande, de fins cernes trahissant la fatigue et ses traits semblaient tendus comme si elle serrait la mâchoire. Vivian s’était toujours intéressée aux visages des gens, particulièrement à leurs yeux. Le portrait était une de ses spécialités. Elle en avait toute une série affichée dans sa galerie de Morlaix.
─ Alors ? Expliquez-moi ce qui vous est arrivé, madame Legoff.
Niveau de satisfaction :
(3,9 / 5)