Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2012 (Éd. Druide)
Genre : Thriller
Personnage principal : Alexandre Jobin, antiquaire, ex-major de l’armée canadienne (renseignements)
C’est le quatrième roman d’André Jacques et le troisième que je lis. Depuis qu’il s’adonne à temps plein à l’écriture, ce qui, dans son cas, est nécessaire, parce qu’il tient à ce que le contexte de ses aventures se fonde sur des recherches bien documentées, André Jacques produit de solides polars. J’avais déjà salué La Tendresse du serpent (Québec-Amérique, 2008), qualifié de grand bond en avant. De pierres et de sang est certes le plus accompli et j’aurai de la difficulté à lui trouver des puces.
Après un vol de diamants qui a mal tourné dans une mine de la compagnie Bradock Gold & Mining, Julie Dorval est poursuivie par les sbires de la mine menés par l’ancien agent du KGB, le cruel Ilya Belochnikov, la GRC, la police de Montréal, la pègre montréalaise dirigée par l’étonnant Maurice ‘Moth’ Monfette et ses Titans, et même la DGSE (services secrets français). Comme elle a déjà sauvé la vie, en Serbie, à l’ex-major Alexandre Jobin, recyclé dans les antiquités à Montréal, c’est à lui qu’elle va avoir recours. Après lui avoir avancé de l’argent en échange de quelques sculptures inuites, et répondu habilement aux questions du bouillant sergent-détective Latendresse, qui enquête sur une bagarre avec meurtre dans la Petite Italie, à quoi Julie serait mêlée, Jobin espère profiter de la sainte paix avec sa jeune amie Chrysanthy. Mais De Puiseux, un ex-général de l’armée française à qui il doit quelques services, affecté maintenant aux renseignements, le relance et le convainc de retrouver Julie Dorval, qui serait sur le point d’écouler les diamants volés sur le marché noir d’Anvers. Seul Alexandre pourrait s’adresser à elle pour la mettre en contact avec De Puiseux pour éviter un scandale qui risquerait de salir sa réputation. Même Monfette intervient auprès de l’antiquaire pour orienter l’enquête de Latendresse dans la bonne direction et se disculper du fait même. Pour le meilleur et pour le pire, la jalouse Chrysanthy se colle à Alexandre pour qu’il ne bamboche pas à Londres ou à Anvers avec Julie.
A Anvers, la situation explose : Belochnikov supporte mal la concurrence et pratique la stratégie de la terre brûlée : derrière lui, il ne laisse que des cadavres. Jobin ne retrouve pas Julie et perd Chrysanthy. Ça va mal. Et la DGSE veut faire une omelette sans casser des œufs; Jobin, exaspéré, tasse Quiéret, le représentant de De Puiseux à Anvers, prend les affaires en mains, brasse la cage à Paris. De retour à Montréal, il semblerait que des choses bizarres se passent à la mine du Lac Westfield. Martineau et Jobin filent donc au nord de Yellowknife. Et dans un finale à la James Bond, l’affrontement Jobin/Belochnikov ne manque pas de punch et met en scène un beau geste d’immoralité. Puis, dans un joli épilogue, on oublie la hargne et on passe à la tendresse.
Le roman est complexe mais la composition et le langage sont clairs : pas besoin de faire des schémas pour suivre le déroulement. Ce qui aide aussi, c’est que les personnages sont bien tracés : les récurrents, Jobin et Chrysanthy, Latendresse et Monfette, les amis de Jobin (moins présents ici à cause des nouveaux); les nouveaux justement, la délurée Dorval, l’effrayant Belochnikov, les Français De Puiseux et Quiéret… L’auteur a le don, en quelques phrases, de faire comprendre aussi les relations entre ces personnages : dans la GRC, par exemple, le chef anglais, respectueux des riches, et le Québécois Martineau, son assistant, plus futé et fonceur; la relation animosité/solidarité de Julie et Chrysanthy; Jobin/Latendresse, le chat qui se fait toujours avoir par la souris… La trame est solide et bien documentée : de 2001 à 2003, les Nations-Unies ont mis au point le Processus de Kimberley pour empêcher l’échange non contrôlé des diamants extraits des mines africaines contre des armes servant aux mouvements de guérillas. Ce processus a pour but de retracer l’origine et de suivre le parcours des diamants, grâce à des certificats, un peu comme on le fait pour le vin avec les AOC. D’où la nécessité pour les marchands d’armes et escrocs de tout acabit de contourner ce processus en écoulant les diamants sans certificat en les mêlant à des diamants extraits légalement par des compagnies minières qui déclarent des productions indûment augmentées.
Ajoutons à cela une pointe d’humour, parfois noir, un zeste d’érotisme et un sens poétique émouvant, on comprendra l’attrait d’un tel roman. Contrairement à d’autres, je ne trouve pas si sympathique cet Alexandre qui prêche la vertu quand ça fait son affaire; et sa Chrysanthy a sans doute un corps de jeune fille et de longues jambes affriolantes, mais elle se comporte souvent comme un enfant capricieux : on dirait Alceste et Célimène. Cette remarque, toutefois, n’est pas vraiment une critique, car André Jacques utilise consciemment cette liaison improbable pour alterner drame et fantaisie dans son histoire, ce qui a pour effet d’accentuer le suspense et de nous faire sortir du roman avec un sourire.
Extrait :Des mains énergiques poussèrent Alexandre sur le siège arrière de la Lincoln Navigator (…). Un homme bien mis se tenait assis à gauche sur la banquette de cuir. D’abord, Alexandre ne le reconnut pas. A cause des bandages recouvrant tout le milieu de son visage et de la casquette de golf Callaway ombrageant ses yeux. Des yeux qui le fixaient derrière ce masque.
– C’est quoi, ce cirque, demanda Alexandre d’une voix tendue. On n’est pas à Moscou ici.
L’homme ne répondit pas et fit un signe de la main au chauffeur. La voiture démarra en trombe et accéléra (…). L’homme aux bandages lança simplement le mot « musique! » et aussitôt l’air d’ouverture de Don Giovanni envahit l’habitacle (…).
– J’ai deux ou trois questions à te poser, Jobin.
Surpris, Alexandre reconnut la voix. Ainsi, il était rentré au pays. Et heureusement, il n’était pas russe.
– Tu te déguises en statue du Commandeur, Monfette?
– C’est bon de rencontrer un homme de culture. Rare.
Alexandre aperçut un sourire dans la fente laissée pour les lèvres. La voix un peu rauque reprit :
– Je suis pas venu te faire payer tes vieux péchés. Je veux seulement que tu répondes à quelques questions.
– C’est toi qui me fais suivre depuis deux jours?
– C’est moi qui pose les questions.
L’homme aux bandages lança simplement le mot « musique! » et aussitôt l’air d’ouverture de Don Giovanni envahit l’habitacle (…)
Don Giovanni - Opera-K.527
Tout à fait d’accord avec ta chronique !
Sauf pour un point !
J’adore le personnage de Chrysanthy … j’aime son petit côté touche-à-tout … presque irrévérencieux !!!
Amitiés
Merci Richard; j’apprécie qu’on soit d’accord sur l’essentiel.
Quant à Chrysanthy, je l’aimerais bien moi aussi si elle était irrévérencieuse moins par caprice que par volonté délibérée. C’est vrai qu’elle est jeune…
Merci infiniment, Monsieur Dufour, pour cet excellent commentaire sur mon roman.
La plaisir que vous m’avez fait, monsieur Jacques, a duré plus longtemps.