Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2012 (Alire)
Genre : Enquête policière
Personnage principal : Francis Pagliaro, sergent-détective à la SPVM
En août dernier, j’ai rendu compte avec plaisir d’Un ménage rouge de Richard Ste-Marie (2013). C’était la version revue et corrigée du roman au même titre, le premier de Ste-Marie, publié en 2008. Je m’étais bien promis alors de lire son autre roman, L’Inaveu, paru en 2012, finaliste du prix Arthur Ellis et du grand prix de Saint-Pacôme, et lauréat du Coup de cœur de Saint-Pacôme.
Venu sur le tard à la littérature policière après avoir passé une bonne partie de sa vie au milieu d’artistes, de créateurs et d’étudiants en arts visuels (Université Laval) où il fut prof pendant 30 ans, Ste-Marie crée un sergent-détective original, relativement jeune (47 ans) même s’il songe souvent à la retraite, bien marié, étudiant en philosophie, amoureux de Schubert. Il est attaché à son travail d’enquêteur, parce qu’il cherche à déchiffrer les crimes comme on décode une œuvre d’art. Ce qui signifie aussi bien donner du sens à un ensemble d’indices qui, individuellement, en semblent dépourvus, que comprendre le noyau d’une personne à partir duquel ses actes acquièrent une cohérence.
Le ménage rouge m’avait fait penser au Couperet de D. Westlake : un personnage assez sympathique obsédé par une logique meurtrière à laquelle il ne peut pas renoncer. Pour L’Inaveu, où un père de famille bien ordinaire finit par développer vis-à-vis de ses proches une stratégie systématique de dissimulation dont il est la plus grande victime, j’ai pensé à Boileau-Narcejac : l’art de se prendre au piège, lentement et sûrement, dont la forme est ici celle d’un silence suffocant et d’une paralysie honteuse.
On n’aurait rien su de ce drame et on n’aurait pas non plus élucidé le mystère de la petite disparue du Vendredi saint, qui avait horrifié Montréal 35 ans plus tôt, si Régis Duchesne, prof de littérature au Cégep du Vieux-Montréal, n’était pas soudain apparu au bureau du sergent-détective Francis Pagliaro un vendredi, fin d’après-midi, alors que l’accès à l’étage aurait dû être interdit et que les vacances de Pagliaro commençaient.
Duchesne raconte au policier que, en voulant mettre un peu d’ordre dans les affaires de son père récemment décédé, il a trouvé un album de découpures de journaux portant sur des crimes commis à Montréal depuis plus de trente ans; et, avec cet étrange album, un mystérieux carnet noir dont les dates remontent aussi trente ans en arrière, où sont inscrits des montants d’argent liés à la signature CS. Duchesne n’y comprend rien; son père était très secret. Il craint soudain qu’il se soit compromis dans des affaires plutôt louches, du chantage par exemple.
Pagliaro n’est pas très enthousiaste; les informations de Duchesne sont bien minces. Il a hâte de retrouver sa femme au bord de la piscine, un rosé de Provence, un trio de Schubert; et il doit terminer son travail de philo! D’un autre côté, Duchesne est sympathique et les papiers de son père attisent la curiosité. Méticuleusement, Pagliaro s’efforcera d’y voir clair. Et il finira par régler, en prime et un peu par hasard, un cold case abandonné depuis longtemps par les enquêteurs.
Le récit est original. On passe de la vie quotidienne d’un policier du SPVM, aux prises avec les gangs de rue, à la vie de famille de Pagliaro dans sa résidence tranquille de Rosemère, qui avait appartenu au liquidateur du Ménage rouge. Sur ce fond se détache l’enquête principale : la raison d’être de l’album, le sens des inscriptions dans le Carnet noir et l’identité de ce fameux CS.
Le personnage principal, qu’on finit par cerner un peu mieux quand on découvre son journal, c’est Georges Duchesne, le père de Régis. On assiste pendant trente ans à sa façon implacable de s’enfermer dans un silence destructeur. La comparaison s’impose, évidemment, avec Vincent Morin, le criminel du Ménage rouge, victime consentante d’un destin impitoyable. Pour moi, Morin était plus attachant parce qu’il n’était pas un loser. Duchesne est plus terne, plus lâche aussi peut-être.
Les personnages secondaires, dont la jeune fille de Régis, sont décrits avec attention et, dans ce cas-ci, tendresse. La femme de Pagliaro est sympathique. Ste-Marie a le souci du détail.
La structure du récit est habile, mais le crime est banal; l’enquête est longue, sans grande surprise. Tout ça m’a paru manquer un peu de nerf : je me suis senti moins impliqué que dans le roman précédent. C’est finalement presque plus une triste histoire psychologique devant laquelle on se trouve qu’une énigme policière dedans laquelle on frémit.
Extrait :
… « Justement : il manque quelque chose, à mon avis. Vous avez deux documents qui ont été mis ensemble par votre père dans un but que l’on ignore. Pourquoi pas par hasard? Je vous concède que les inscriptions du carnet sont étranges, pour vous et surtout pour moi qui ne vous connais pas, ni vous ni votre père. Mais peut-être qu’en découvrant le code on découvrirait vous et moi que ces inscriptions cachent tout simplement des banalités. Pour ce qui est des coupures de presse, il peut s’agir là d’un plaisir coupable, d’une manie peu répréhensible, une sorte de passe-temps innocent.
− Écoutez, je reste persuadé qu’il y a un plan caché derrière tout ça, une histoire qui relie tous ces événements entre eux.
− Mais vous n’avec rien trouvé dans ces documents.
− Non.
− Voilà!
− C’est vrai, je vous l’accorde. Dieu sait pourtant que j’ai persisté. J’ai dû mettre des centaines d’heures pendant plusieurs mois à comparer le carnet et l’album, et à essayer de décoder les notes de mon père. C’est à devenir fou.
− J’imagine vos inquiétudes, monsieur Duchesne, mais vous devez comprendre que je ne peux pas déclencher une enquête policière avec si peu. Je ne trouve pas de motif. Il n’y a pas eu de crime. Pas de victime. Encore moins de suspect… »
Le caractère mortuaire et obsessif du deuxième mouvement lui semblait particulièrement propice au travail intellectuel qu’il s’apprêtait à attaquer.
Schubert – Trio pour piano, violon et violoncelle no 2, (2e mouvement)