Le dernier arbre – Tim Gautreaux

Par Raymond Pédoussaut

ledernierarbreDate de publication originale : 2003 (The Clearing) Gautreaux
Date de publication française : 2013 (Seuil)
Genres : Historique, Aventures
Personnages principaux : Byron Aldridge, constable à la scierie de Nimbus – Randolph Aldridge, directeur de la scierie.

En 1923, en Louisiane, Byron Aldridge, constable à la scierie de Nimbus rétablit l’ordre, de manière expéditive, quand les ouvriers soûls se battent à coups de rasoir. La scierie vient d’être rachetée par son père, riche industriel de Pittsburgh. Son frère cadet, Randolph, arrive pour prendre la direction de la scierie. Située en plein marais dans une zone très humide, elle offre cependant de belles perspectives de rentabilité grâce à la forêt cyprès chauves très dense. La scierie de Nimbus est un vrai petit village peuplé surtout d’ouvriers, des hommes, noirs ou blancs, peu de femmes et presque pas d’enfants. L’atmosphère générale est dure et brutale. En dehors du travail les hommes n’ont qu’une seule distraction : boire et jouer aux cartes au saloon. Ça finit souvent mal : bagarres à coup Ledernierarbre-amb2de rasoir, quelques coups de feu, quelques morts aussi. Le saloon est tenu par les sbires de Buzetti, un mafieux sicilien, qui fait des affaires dans la région grâce aux prostituées et au trafic d’alcool. Buzetti veut augmenter ses profits en ouvrant le dimanche, comme nos grandes surfaces d’aujourd’hui. Byron s’y oppose, les ouvriers disposeraient de toute une journée pour s’enivrer et dilapider leurs salaires, cela causerait des troubles importants. Buzetti insiste et lui oppose des arguments de mafieux.

Les deux personnages principaux sont deux frères très différents. Byron, l’ainé, n’est pas une brute épaisse bien qu’il emploie souvent la manière forte. Jeune, il était un garçon brillant et facétieux qui n’a jamais voulu suivre le chemin tracé par son père : diriger une de ses exploitations forestières. Il est parti à la guerre en 1914, en France. Il a assisté à des horreurs et en est revenu traumatisé et profondément changé. Il a ensuite voyagé à l’intérieur des États-Unis, sa famille perdant sa trace. Maintenant il s’est fixé dans ce trou perdu, Nimbus, au milieu des cyprès rouges où il occupe le délicat poste de constable, gardien de l’ordre. Une de ses passions c’est les opéras et les chansons tristes qu’il écoute sur un phonographe Victrola. C’est ainsi qu’il tente d’exorciser les démons qui le hantent depuis la guerre. Randolphe, lui au contraire, fait la fierté de son père. Il est capable de redresser et de rentabiliser les scieries rachetées par son père. Il est plus civilisé que son frère. La manière brutale de Byron pour traiter les problèmes de trouble de l’ordre le choque. Il lui conseille d’être plus policé. Byron suit ce conseil : plutôt que de rétablir le calme à coup de pistolet, c’est à grand coup de pelle dans la tête qu’il le fait maintenant. Un progrès ! Randolph est un gestionnaire mais il sait prendre ses responsabilités et devenir un homme d’action, avec plus ou moins de succès, quand les circonstances l’imposent. Il va être confronté, lui aussi, aux dures réalités de ce coin sauvage.

Le cadre a une grande importance dans ce roman. La scierie de Nimbus est située au fin fond de la Louisiane. Elle est peuplée de magnifiques cyprès rouges fournissant un bois d’excellente qualité, mais aussi de marais ou vivent des alligators, des serpents et des moustiques. La pluie est fréquente et la boue un peu partout. Les conditions de travail et de vie sont rudes dans ce coin reculé et inhospitalier d’autant plus que les mafieux locaux vont les rendre encore plus dures.

L’écriture rend parfaitement l’atmosphère d’isolement et de violence. Goutreaux nous montre également les ravages de la guerre : les morts mais aussi les dégâts causés sur les survivants. La dernière partie, mélancolique et poignante, décrit la dévastation de l’environnement par les hommes. Dans ce coin de Louisiane sauvage, les hommes sont venus, ont coupé les arbres puis sont repartis ne laissant que désolation. Certains se sont enrichis, d’autres ont travaillé pour seulement survivre. Un cheval aveugle abandonné là est le symbole de ce qui reste de leur passage. Est-ce ainsi que les hommes vivent? S’interrogeait Aragon. C’est aussi ce genre de question qui vient à l’esprit lorsqu’on referme ce roman.

Le dernier arbre est un roman, dur et âpre, mais d’une grande humanité et d’une sombre beauté.
Ce livre me rappelle un autre beau bouquin sur un thème approchant : Serena[1] de Ron Rash.


[1] Le dernier arbre (2003) est antérieur à Serena (2008)


Extrait :
L’animal avait écouté toutes les étapes du démantèlement, et il comprenait ce qui se passait. Il savait que le monde des humains n’était qu’une installation temporaire, un ouvrage de pacotille qui exploitait la nature avant d’être lui-même absorbé par le monde qu’il avait tenté de détruire. Lorsque Randolph eut pris conscience de ce que savait l’animal, une tristesse insondable s’empara de lui, comme un brouillard d’hiver surgi du marais en pleine nuit. Il pensa à toutes les maisons et à tous les volets que cette forêt avait permis de construire, à l’argent engrangé dans son compte en banque en Pennsylvanie, mais en regardant le cheval il ne voyait rien qui en vaille la peine dans tout ce qui avait été accompli.

Il fut surpris d’entendre un phonographe geindre à l’intérieur – John McCormack, le ténor irlandais, qui chantait I’ll Take You Home Again, Kathleen d’une voix incroyablement haut perchée.

John McCormack – I’ll Take You Home Again Kathleen

Ma note : 4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)  ledernierarbre-amb
et coup de cœur coupdecoeur

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2 réponses à Le dernier arbre – Tim Gautreaux

  1. belette2911 dit :

    Coucou ma Poulette ! :p

    J’avais lu ton article mais je n’avais pas encore laissé de petit mot, préférant le faire une fois de retour à la maison, avec mon PC perso 😉

    Et bien, les grands esprits se rencontrent et depuis que j’en avais entendu parler, j’ai envie de découvrir ce livre. Ton coup de <3 m'en donne encore plus l'envie.

    Il me semble que de cet auteur, il y a encore "nos disparus"… j'ai rêvé ?

    • Ray dit :

      Eh bien, ma Bellette, c’est réciproque : toi, tu m’a donné envie de lire « Le village » de Dan Smith avec ta belle chronique et de mon côté ce serait « Le dernier arbre » qui aurait déclenché ton envie. Ce bouquin a eu beaucoup de bonnes critiques, notamment celle de Bob Polar dernièrement, il le mérite. Non, tu n’as pas rêvé « Nos disparus » est le dernier roman de Tim Goutreaux. Je l’ai aussi, en numérique 😆 et je me suis aussi procuré « Le village » 😉 Parenthèse : les smileys de wordpress et de facebook sont parfois différents le petit cœur <3 de facebook n'existe pas de base dans wordpress.

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