Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2014 (Textes et Contextes)
Genre : Thriller géographique
Personnage principal : Réal Beauregard, exécuteur errant
J’avais bien aimé Mafia Blues, le roman précédent de Draper. Son héros, Réal Beauregard, est un ex-tueur à gages, sympathique dans la mesure où il n’acceptait de tuer que des gens qui le méritaient, bon musicien de jazz (contrebasse), efficace (expert en jiu-jitsu et au tir). Depuis le moment où il n’a pas respecté un contrat (une jeune femme qui ne méritait pas d’être exécutée et dont il est tombé amoureux), il est poursuivi par les mafias australiennes, mexicaines et siciliano-québécoises. L’assassinat de la femme qu’il aimait (Rosalie) l’incite à revenir au Québec et à éliminer le parrain qui l’avait jadis engagé et qui le poursuit maintenant à travers le monde.
Après avoir été dépisté même aux Seychelles, Beauregard se retrouve au Brésil où, malgré un pied à terre à Rio, il recherche un village bien tranquille pour se faire oublier. Une agréable rencontre l’entraîne dans le paisible village minier de Florès, où il s’engage à protéger la famille Silveira pendant quelques jours : le grand-père Heitor, propriétaire de la mine de tourmaline; sa fille Clara que Réal aime beaucoup; et le jeune Fernando, jeune fils de Clara, que Réal aime beaucoup aussi.
Le chef de la sécurité de la mine se fait tuer; deux autres vont suivre. Notre cavalier solitaire enquête, sans se fier au chef de police Pepe Vargas, une grosse nuisance, et se rend bientôt compte que trois groupes dangereux se disputent la mine : le caïd Joe Barbosa, qui utilise les pierres de tourmaline pour blanchir de l’argent, le riche négociant Rubem Cardozo, qui vise à s’accaparer le marché de la tourmaline dans tout le Brésil; et le magnat nigérien King Wole Kuti, qui cherche à créer et à dominer le cartel mondial de la tourmaline. Pour faire pression sur Heitor, qui ne veut pas céder la mine qui assure la survie de tous les citoyens de son village, on ira jusqu’à enlever le jeune Fernando.
Beauregard doit renoncer aux plages tranquilles et aux caresses de Clara. Il supporte mal que ses nouveaux amis soient menacés par des puissances impitoyables qui ne respectent que l’argent. Mais comment régler ce problème quand on est seul avec un Glock 17 semi-automatique ?
C’est un peu surprenant de faire la connaissance d’un Québécois de Saint-Tite dont la réputation de tueur à gages lui a permis de travailler pour Big Joey Scalpino, le parrain de la mafia sicilienne au Québec. D’autant plus que ses exploits en font une sorte de James Bond très convaincant.
Une fois la surprise passée, et une fois qu’on s’est attaché à cet artiste québécois (contrebasse et Glock), très sensible et, en un sens, très moral, on n’a plus qu’à le suivre avec plaisir dans ses aventures. Draper, expert-conseil en développement international, nous entraîne dans des pays qu’il connaît bien et qu’il aime : les odeurs et les saveurs typiques, les habitudes de vie particulières, les paysages à couper le souffle. Ses romans se prêteraient bien à des films. Il stimule l’intérêt de toute personne qui a l’imagination visuelle le moindrement développée.
L’intrigue est celle d’un roman d’aventures. Ici une sorte de Lone Ranger, de ronin efficace (pensons aux films de Kobayashi et de Kurosawa, et aux adaptations Leone-Eastwood), qui finit par affronter et vaincre des adversaires redoutables. Il y a un peu de Tintin là-dedans. Pas certain que tous les lecteurs accepteront de jouer le jeu, même si l’histoire est bien montée.
Pour moi, ce fut encore un bon moment à passer.
Extrait :
Ma liaison avec Clara était certes agréable, mais elle ne pouvait durer. En raison de toutes les menaces qui pesaient sur moi, mes jours à Florès étaient comptés et il allait falloir que je trouve rapidement une façon de tirer ma révérence sans causer trop de dommage à sa sensibilité. Quant à moi, je pouvais disparaître sans déchirements profonds puisqu’il ne m’était jamais venu à l’esprit de considérer notre amitié et nos premiers ébats comme le début d’une histoire d’amour. Malgré la beauté et l’intelligence de Clara, ma passion s’appelait encore Rosalie : je pensais à elle au quotidien et elle me manquait cruellement. Et puis, je brûlais plus que jamais d’envie de retrouver ma contrebasse pour lui faire chanter toutes mes émotions et, surtout, lui faire crier toutes mes angoisses.
Un moment de recueillement pour Réal :
Lee Konitz-Brad Mehldau-Charlie Haden-Alone Together