Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2017 (Druide)
Genres : historique, enquête
Personnage principal : Gervais d’Anceny, oblat
J’ai présenté Maryse Rouy dans le compte rendu de Meurtre à l’hôtel Despréaux (mars 2015), la première chronique de Gervais d’Anceny. J’ai aussi lu avec plaisir la deuxième chronique de Gervais, Voleurs d’enfants, (juillet 2015), qui se passe dans les quartiers pauvres de Paris. L’Affaire Guillot, la troisième chronique, m’a passé sous le nez. La mort en bleu pastel est la quatrième chronique de Gervais et se passe en grande partie à Toulouse de 1342 à 1346.
Plus précisément, l’auteure joue sur deux tableaux : Gervais adolescent : destiné à la vie monastique mais détourné de cette voie par le désir troublant qu’il ressent pour Margaux, la future de son frère aîné François; ce pourquoi son père l’expédie à Toulouse pour acquérir une formation de marchand chez le drapier Dutech. Deuxième tableau : une trentaine d’années plus tard, après avoir été marié (on a connu son fils Philippe dans Voleurs d’enfants), Gervais est devenu oblat. Au prieuré de Neubourg, le père Joachim étant décédé, Gervais et le père infirmier Joseph sont chargés de convoyer le rouleau des morts (parchemin qui annonce la mort d’un membre de la communauté) de monastère en monastère pour y recueillir commentaires et condoléances. En outre, Gervais doit soumettre son mémoire sur les moulins à papier à l’abbé Crispin, supérieur de l’abbaye de Saint-Évroult, dans le plus grand secret pour ne pas éveiller quelque concurrence.
C’est en effectuant ce voyage que Gervais rédige sa chronique toulousaine, où il eut à affronter un tueur en série qui s’en prenait à de jolies jeunes filles, qu’il violait et étranglait avec un foulard bleu pastel. Il lit cette chronique au fur et à mesure qu’il la compose à son compagnon de voyage, le père Joseph. Entretemps, l’abbé Crispin lui demande de retrouver un précieux manuscrit qui est disparu de la bibliothèque de Saint-Évroult. Nous suivons donc alternativement l’enquête toulousaine pour identifier le tueur en série et la recherche du manuscrit volé à l’abbaye de Saint-Évroult.
La composition est habile et les deux récits ne manquent pas d’intérêt. Entendons-nous clairement, cependant, sur un point : les amateurs d’enquêtes policières complexes, où les déductions brillantes d’un détective dénouent avec brio les enchevêtrements d’une intrigue mystérieuse, resteront sur leur faim. Ce sont moins les petites cellules grises que les beaux hasards qui permettent de régler les problèmes. Par contre, les passionnés d’histoire vivront avec délectation la vie quotidienne dans les rues de Toulouse ou sur les chemins de Saint-Évroult au XIVe siècle. L’accent est particulièrement mis sur les sensations olfactives et gustatives : madame Rouy et messire Gervais parcourent les cuisines, et les plaisirs de la table, pour Gervais en tout cas, compensent pour l’absence des plaisirs du lit, absence d’autant plus douloureuse que l’initiation aux plaisirs des étuves de la foire de Pézenas avait été plutôt excitante. La précision sociologique et la finesse psychologique de Rouy sont des atouts essentiels pour ce genre de récit.
Et, pour l’amateur d’enquêtes plus sophistiquées, l’ensemble est instructif et reposant.
Extrait :
Du haut de Musarde (une mule) où il avait été aussi difficile que l’avant-veille de le jucher, l’infirmier s’étonna :
– Cette décision de votre père de vous envoyer à Toulouse me paraît curieuse. Je me serais plutôt attendu à la Flandre.
– Il est vrai que les drapiers parisiens ne commerçaient guère avec le Languedoc. Ils préféraient les laines tissées dans le nord ou en Toscane, des contrées qui en produisaient de plus belles. Il aurait été normal qu’il élise un territoire avec lequel il avait des relations mercantiles, et l’Artois en était un, mais son choix n’avait pas obéi à une logique économique. Il ne faut pas oublier que sa première idée avait été de me former à Paris où je n’aurais pas davantage noué de liens utiles. Considérant que j’avais seulement quatorze ans et n’avais fréquenté que l’école, loin du monde du négoce, et du monde tout court, sa décision de me confier à Dutech, dont il savait la haute tenue morale, était destinée à me protéger. Chez son ami je trouverais la vie de famille qu’il souhaitait pour moi.
– D’où connaissait-il cet homme ?
– Il l’avait rencontré lors d’un pèlerinage à Compostelle qu’il avait effectué dans sa jeunesse en remplacement de son propre père incapable de s’acquitter de son vœu pour des raisons de santé. Même si, à l’époque, je lui en ai beaucoup voulu de m’éloigner de Paris, je dois reconnaître qu’il n’aurait pu m’envoyer chez de meilleures gens.
– Je comprends, maintenant. Et Musarde, en ce qui la concerne, semble avoir compris qu’elle devait me ménager. Je me sens presque comme sur une litière.
– C’est surtout une fainéante. Vous ne risquez aucun mouvement brusque : elle aurait trop peur de se fatiguer
– Je ne m’en plaindrai pas. Puisque nous sommes en bonne voie de faire le tour du verger, continuez donc votre récit.
Niveau de satisfaction :
(4 / 5)