Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2015 (Enclima stèn paralia Vouliagmenès) 1
Date de publication française : 2020 (Albin Michel)
Traduction : Loïc Marcou et Hélène Zervas
Genre : Enquête
Personnage principal : Christophoros Markou, capitaine de police au Département des Homicides de l’Attique
C’est le deuxième roman policier de Markogiannakis. Originaire d’Héraklion (né en 1980), il a fait le Droit et la Criminologie à Athènes, puis a travaillé comme avocat pénaliste et effectue actuellement des recherches à Paris sur la représentation du meurtre dans les œuvres d’art. En 2012, il a décidé d’écrire « des romans que j’aurais aimé lire » : loin de la série noire américaine, pas aussi physiquement violent, gore ou sanguinolent. Son détective ne boit pas, ne prend pas de drogue, n’a pas de problèmes familiaux (sauf sa mère qui aimerait le voir plus souvent), ne se noie pas non plus dans le jazz, bref c’est quelqu’un de terriblement normal.
Mourir en scène explore le domaine du show-business à Athènes, suite au krach de 1999 et à la crise de 2011-2013. Alors que l’excellent Petros Markaris (Liquidations à la grecque; Le Justicier d’Athènes) décrivait de façon critique les difficultés économiques et sociales du début du siècle, Markogiannakis insiste davantage sur les personnes affectées par les traumatismes causés par la situation économique désastreuse de la Grèce actuelle. Au centre de son analyse, Neni Vanda, superstar de la musique pop grecque, qui domine la scène depuis bientôt presque 40 ans, personnage qui aurait été inspiré par la vedette Anna Vissi (ceci dit sous toute réserve).
Selon Katerina, la sœur de Neni, et Vera, sa nièce, bonne amie du capitaine Markou, la chanteuse serait victime de menaces et on aurait même attenté à sa vie à quelques occasions : un câble métallique qui lâche et provoque la chute de la vedette; sabotage des freins de sa voiture qui s’arrête dans un arbre; billets, sms et courriels agressifs; bref ça va mal et, malgré l’entêtement de Neni qui veut éviter ce genre de publicité, ses amies s’adressent à Markou, sur lequel fait aussi pression son chef Rovis, lui-même talonné par le ministre du tourisme Kyriaziz.
Markou n’a pas trop le choix de prendre l’enquête en main et on assigne à Neni un garde du corps, Yannis Halonis. Le capitaine procède alors à une recherche classique : il interroge les principaux membres de l’entourage de la chanteuse pour tenter de découvrir qui peut avoir intérêt à blesser ou même tuer la vedette. Est-ce le frère de Neni, Andreas, à qui Neni a coupé la pension ? Ou Dimitris, le président du fan-club, dont Neni ne reconnaîtrait pas suffisamment l’importance ? Ou son ex, Dimitris, et sa nouvelle flamme Vanessa, qui trouve que les vieux (55 ans !) doivent laisser la place aux jeunes ? Ou même Katerina, fatiguée de prendre soin de sa sœur ? Plus tard, on en viendra même à soupçonner le garde du corps.
Puis, au concert ultime que donne Neni, sur la plage de Vouliagméni, avant de prendre sa retraite, la scène explose et la vedette meurt. Malgré la présence de Markou et toutes les mesures de protection, le pire n’a pas été évité. Ralenti par la culpabilité, Markou reprend l’enquête. Le lecteur connaît quelques informations que le policier ignore : un Syrien est impliqué dans l’affaire et, peut-être aussi, une femme, qui auraient été engagés par deux inconnus. Quel rapport ?
Réactions des principaux suspects : Andreas écrit une biographie de Neni qui sera portée au petit écran et dont le rôle principal sera joué par la fille d’Andreas. Dimitris compose une sorte de requiem qui sera chanté par Vanessa aux obsèques. Katerina s’écroule et semble perdre tous ses moyens quand elle apprend qu’on a retrouvé une deuxième victime sous la scène.
Markou fait alors fonctionner ses petites cellules grises; le fait d’avoir trouvé un deuxième corps stimule son imagination et réoriente sa perception de l’ensemble. Une vérité invraisemblable lui résiste, mais plus pour longtemps…
Toujours agréable de lire un nouvel auteur qui a du talent. L’intrigue est mystérieuse, mais les données sont simples. Les personnages sont peu nombreux et décrits sans caricature : leur personnalité est claire. L’inspecteur principal ne dort pas beaucoup, mange peu, vit à la spartiate et pense comme un disciple d’Aristote, bref un gars bien sympathique. Et, malgré la subtilité des descriptions psychologiques qu’affectionne l’auteur, l’intrigue est composée avec rigueur et la solution de l’énigme est élaborée avec art.
Une très agréable surprise.
1 Transposé librement en alphabet latin, et qu’on pourrait traduire littéralement par : Un crime sur la plage de Vouliagméni.
Extrait :
Le capitaine de police Christophoros Markou, les bras croisés, observait depuis la plage l’estrade qui flottait à cent mètres du bord. La foule électrisée par la musique dansait, pieds nus, sur le sable. Markou, lui, avait gardé ses chaussures et ne se trémoussait pas. Les mélodies pop que déversaient les haut-parleurs sur la Riviera athénienne ne le charmaient guère. De toute façon, il n’était pas là pour s’amuser.
Il regarda encore autour de lui. Rien d’anormal. « Tout baigne ? » demanda-t-il à son talkie-walkie, et on lui répondit que oui. Une femme à son côté lui sourit, sans pouvoir cacher son angoisse à l’œil exercé du policier. Ses doigts crispés étaient livides. Le capitaine hocha la tête pour la rassurer. Tout se passait comme prévu et le show serait terminé dans dix minutes.
Même si ce n’était pas son boulot, il avait tout inspecté avant le début du concert : la plage, puis l’estrade, la scène, la trappe, la petite loge, les projecteurs, les câbles et le monte-charge pneumatique ayant propulsé la star jusqu’à la scène trois heures plus tôt, telle Aphrodite jaillie des eaux. Tout se passait donc à merveille.
Selon la rumeur, le personnage de Neni Vanda aurait été inspiré par Anna Vissi : https://youtu.be/dV5rO48E1-w
Niveau de satisfaction :
(4,4 / 5)