Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2022 – Mialet-Barrault Éditeurs
Genre : Enquête d’écrivain
Personnage principal : Alain Laprie, accusé du meurtre de sa tante
Le mercredi 17 mars 2004, Marie Cescon, âgée de 88 ans, meurt dans sa maison en flammes à Pompignac, région bordelaise. L’autopsie pratiquée à l’institut médico-légal de Bordeaux constatera qu’elle a une plaie impressionnante à l’arrière du crâne, mais ce n’est pas ce qui a causé sa mort. Elle est décédée d’une intoxication à la fumée. Les enquêteurs vont également découvrir que les trois boutons de la gazinière sont en position ouverte, à fond. Autre constatation : le téléphone à grosses touches sur lequel la vieille dame avait programmé trois numéros d’urgence a disparu. Une conclusion s’impose : Marie a été agressée, tuée, on a mis le feu à sa maison. Le principal suspect est Alain Laprie, un neveu de la vieille dame, qui avait l’habitude de venir la voir régulièrement et de l’aider.
Après enquête il y aura procès. Il y en aura même trois. Le premier a lieu le 20 juin 2016 à Bordeaux. Il ne se termine pas. Le dernier jour après le repas, le président de la cour d’assises demande une suspension de séance pour un supplément d’information. Les deux parties refusent. Le procès est annulé et renvoyé. Une nouvelle audience s’ouvre donc le 26 novembre 2018, toujours à Bordeaux. Alain Laprie est acquitté au bénéfice du doute. Le parquet général fait appel de cette décision. Le 17 février 2020, le troisième procès en appel se tient au palais de justice d’Angoulême. Alain Laprie est condamné à quinze ans de réclusion criminelle. Les enquêteurs et les juges d’instruction auraient-ils, seize après les faits, réuni toutes les preuves pour faire condamner ainsi le principal et seul suspect ? Eux le pensent probablement. Ce n’est pas l’avis de Philippe Jaenada, contacté par Alain Laprie et son épouse en désespoir de cause.
Malgré sa décision de ne plus s’occuper de ce genre de dossier, Jaenada prend connaissance du dossier d’instruction et là il est stupéfait tellement le dossier est bourré d’erreurs, d’incohérences et d’approximations. Et surtout il constate que l’enquête et l’instruction n’ont été menées que dans un seul but : faire d’Alain Laprie le coupable. Tout part d’un témoignage d’un oncle (le frère de la victime) qui affirme avoir recueilli la confession du coupable, Alain Laprie, qui voulait soulager sa conscience en parlant à quelqu’un de confiance, son oncle. À partir de ce témoignage, toute l’instruction sera menée à charge du présumé coupable. Aucune autre piste ne sera suivie. L’argent est au centre de cette affaire. La grand-mère était riche et ça se savait. Ils étaient nombreux à convoiter son héritage. Parmi eux, son frère, l’oncle d’Alain Laprie, celui-là même qui aurait recueilli ses aveux. Je me plais à imaginer ce qu’un avocat comme Maurice Garçon (voir La serpe) aurait tiré de ce genre de situation. Je pense qu’il aurait taillé en pièces les accusations, détourné les soupçons, semé le doute, comme il l’a fait au procès d’Henri Girard (voir encore La serpe). Laprie avait pourtant trois avocats, mais probablement aucun du niveau de Garçon. La justice n’est pas une science exacte, elle est aléatoire : elle dépend du talent de l’avocat, de l’attitude du président de la cour et bien sûr de la composition du jury.
C’est donc avec patiente, minutie et rigueur que Jaenada analyse le dossier. Il met en évidence de nombreuses anomalies. Sa conclusion est que cette affaire n’a pas été menée correctement, elle devrait être rejugée. Mais voilà, dans la situation actuelle, c’est impossible : il ne peut y avoir qu’un seul appel et il a déjà été utilisé par la partie civile. Le pourvoi en cassation a été rejeté sans autre explication. Et enfin, le recours auprès de la Cour européenne des droits de l’homme a aussi été rejeté, toujours sans explication. Donc, bien qu’il y ait injustice, il n’y a rien à faire pour la réparer. On comprend l’amertume d’Alain Laprie et de sa famille et aussi celle de Philippe Jaenada qui pense avoir démontré dans ce livre que ce cas mériterait une révision du procès.
Contrairement aux livres précédents, Philippe Jaenada a écrit ce livre dans l’urgence avec le sentiment que le temps presse, qu’il doit faire vite pour essayer de sortir des griffes d’une justice aveugle un homme qui n’a pas bénéficié d’un jugement sérieux, digne et honnête. Qu’Alain Laprie soit coupable ou innocent n’est pas la question. La question est l’application d’une justice intègre et équitable, comme elle devrait l’être.
Philippe Jaenada est un écrivain qui s’est construit un statut à part, celui de redresseur de torts, de justicier qui rétablit l’équité. Ses derniers livres rendent justice à des personnes victimes de l’arbitraire : – Pauline Dubuisson dans La petite femelle – Henri Girard dans La serpe – Lucien Léger dans Au printemps des monstres et enfin à Alain Laprie dans ce dernier Sans preuve & sans aveu. Jaenada est devenu le dernier recours pour rétablir la vérité quand il n’y plus rien à faire pour cela. Cette situation lui pèse, il souhaite passer à autre chose, mais il s’est quand même laissé embarquer dans l’affaire Alain Laprie. Une dernière fois ?
Extrait :
Qu’on croie Alain Laprie innocent ou non n’est pas la question, on peut croire ce qu’on veut. Simplement, une justice sérieuse et digne, honnête, ne pouvait pas l’empêcher de poursuivre sa vie sans raison valable, ne pouvait pas le priver de sa liberté, de sa famille, de ses amis, de ses années de retraite, en faisant mine, avec cynisme, de s’appuyer sur un dossier qui ne contient que du vide, trouble, des inepties, des leurres, des ruses, des mensonges, des erreurs. C’est de la non-justice, de l’injustice.
Niveau de satisfaction :
(4,3 / 5)