Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale :
2021 – Calmann Lévy
Genres : Thriller régional, roman noir
Personnage principal : Laura Farges, professeure d’histoire géographie et thésarde
Les vacances d’été sont arrivées pour Laura Farges, professeure d’histoire et géographie à Fontainebleau. C’est le moment de revenir dans sa ville natale, Brive, pour retrouver ses parents. Cependant elle ne va pas s’attarder chez eux, elle a une thèse de doctorat à préparer. Une tante lui a proposé de lui prêter une maison de famille inhabitée depuis des années en Haute-Ariège. C’est l’endroit idéal pour pouvoir travailler sans être dérangée. Rendue à destination, Laura doit se rendre à l’évidence, le lieu ne correspond pas vraiment à ce qu’elle imaginait : dans le hameau, proche de la ferme où elle va s’installer, des gens méfiants voient d’un mauvais œil son arrivée et l’abandon dans lequel elle trouve la maison lui donne un aspect sinistre. Mais Laura ne se décourage pas pour autant, elle est jeune et dynamique, elle va s’adapter. Avec un paysage magnifique, mais oppressant, des voisins on ne peut plus inhospitaliers et des rumeurs d’inavouables secrets, la retraite studieuse escomptée tourne à la rude épreuve.
L’auteur dépeint avec talent le décor, celui de la Haute-Ariège. Un pays de montagnes et de belles vallées. Dans cette région, il existe des endroits reculés qui sont encore sauvages, où des gens sont restés repliés sur eux-mêmes avec peu de contacts avec l’extérieur. Les hommes et les femmes qui vivent là considèrent tout étranger comme un ennemi potentiel qui va perturber leurs habitudes et leur tranquillité. Ils sont chez eux, la montagne leur appartient, les touristes et les randonneurs sont des intrus, mais pires encore sont ceux qui viennent pour s’installer plus longuement, comme Laura. Pour lui faire savoir qu’elle n’est pas la bienvenue, les gens du cru lui font des tustets[i]. Ce sont des actes malveillants tels que couper l’électricité, dégonfler les pneus de la voiture ou encore jeter le cadavre d’un chat écorché devant la porte d’entrée. Le but est de faire peur, d’angoisser la victime pour qu’elle déguerpisse au plus vite. Ce sont surtout des avertissements. Plus inquiétant que les tusteds sont les morts suspectes qui ont eu lieu dans ce coin : un mycologue reconnu est mort empoisonné par des champignons qu’il aurait confondus avec d’autres, un suicidé s’est pendu à une branche d’arbre mais ses pieds touchaient terre, une randonneuse expérimentée a dévissé et s’est écrasée au pied d’une barre rocheuse et un homme a complètement disparu, jamais retrouvé malgré les recherches intensives des gendarmes. Tout cela fait régner une atmosphère menaçante et la sensation que de lourds secrets sont restés enfouis et qu’il serait dangereux de chercher à les découvrir. De quoi perturber Laura. Heureusement elle a réussi à se faire deux amis : – Elena, une ancienne hippie d’origine hollandaise, appelée la Louve parce qu’elle élève des loups dans un parc animalier créé avec son mari, avant que celui-ci se suicide (pendu avec les pieds qui touchaient terre) – Régis, le bûcheron débonnaire à la stature de géant, un homme qui sait tout faire. À eux trois ils font face à l’hostilité des familles du hameau.
Georges-Patrick Gleizes a imaginé que son roman se déroulait dans une région qu’il connaît bien, en tant qu’agrégé d’histoire spécialiste des sociétés rurales du Sud de la France et en tant qu’habitant puisqu’il est installé en Ariège depuis 1991. Le bon français de l’auteur est souvent pimenté par des mots et des expressions régionales ou de patois occitan : gispet, bigou, coutennes, cailladoux, tusted, rampailhous, gnanquer, Caio-té, cap de porc, azinat … Des renvois en fin de chapitre donnent leur signification en français.
La montagne des autres est un bon roman alliant une peinture très réaliste de la Haute-Ariège, qui ravira ceux qui la connaissent et donnera aux autres l’envie de la découvrir, avec une intrigue qui tient parfaitement la route.
[i] À l’origine le tusted est le heurtoir d’une porte en occitan. Ensuite on a appelé tusted l’amusement des jeunes d’un village : ils choisissaient la maison d’un ancien, ils attachaient alors une corde au heurtoir, se cachaient à quelques mètres et tiraient la corde, le heurtoir cognait la porte faisant un boucan d’enfer dans toute la maison. C’était réussi quand l’ancien sortait furieux provoquant l’hilarité des jeunes. Par extension de sens, le tusted est devenu ici bien plus qu’une farce de mauvais goût, c’est un acte malveillant dont le but est de provoquer la peur.
Extrait :
Et Laura lui raconta le pourquoi de son installation à la Lauzerette. Elle lui fit part de la route barrée d’un fil de fer barbelé et des manifestations d’hostilité que son arrivée avait déclenchées. Roger Sicre, qui connaissait bien toute la vallée et notamment les gens du hameau, ne fut guère surpris. Sans se faire leur avocat, il s’efforça d’expliquer le pays à la jeune femme. Repliées sur elles-mêmes depuis des générations dans ce bout du monde oublié des hommes et de Dieu, entretenant peu de contacts avec l’extérieur, ces quatre familles cultivaient une méfiance ancestrale envers tout ce qui était étranger. Cette montagne était la leur et celui qui y mettait les pieds n’était pas le bienvenu. Leur défiance s’exerçait même avec les gens du bourg qui, pourtant, n’était qu’à quelques kilomètres. Si l’évocation du tustet l’amusa, la sinistre mise en scène de la mort de Berlioz le fit grimacer.
Niveau de satisfaction :
(4,2 / 5)