À sang perdu – Rae DelBianco

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2018 (Rough Animals)
Date de publication française : 2019 – Seuil
Traduction : Théophile Sersiron
Genres : Grands espaces, roman noir
Personnages principaux : Wyatt Smith, jeune fermier dans le comté de Box Elder en Utah – « La fille », une adolescente redoutable de 14 ans dont on ignore le nom.

Wyatt et Lucy Smith, jumeaux de 23 ans, vivent seuls dans le ranch familial du comté de Box Elder dans l’Utah. Un beau matin alors que Wyatt va nourrir son troupeau de bovins, un tireur embusqué abat plusieurs de ses bêtes. Le tireur n’est autre qu’une gamine de 14 ans environ qui se laisse capturer sans opposer de résistance. Elle est séquestrée un moment dans une chambre mais réussit à s’enfuir. Wyatt se lance à sa poursuite laissant sa sœur seule au ranch. Cette poursuite l’amène jusqu’à un gang de producteur de drogues dont la dernière livraison tourne mal. Une fuite à travers le désert brûlant, en compagnie de la gamine qui a abattu ses animaux, représente le salut à condition de rester vivant dans cet enfer minéral.

Ce qui distingue d’entrée ce roman c’est le style et l’ambiance particulière qui est créée. L’écriture est à la fois poétique et d’une grande précision dans les descriptions des paysages et de la nature en général. Elle plonge le lecteur dans les grands espaces désolés et déserts de l’Utah. L’auteure réussit parfaitement à rendre l’immensité, l’aridité et la sauvagerie des lieux. On est véritablement plongé dans le désert de l’Utah, on a chaud, on a soif, on respire la poussière, on redoute les attaques de coyotes. Cette immersion dans un décor rude est, à mon avis, la grande qualité de ce roman.

L’intrigue me paraît fournir un prétexte à ces belles descriptions de l’environnement mais elle n’est pas très élaborée. On ne comprend pas pourquoi cette fille surgie de nulle part se met à faire un carton sur les vaches. On a du mal à voir l’intérêt de la poursuivre à travers le désert et de risquer sa peau au milieu des fusillades entre cartels de drogue, pour récupérer éventuellement 4600 dollars, somme qui représente le prix des bêtes tuées.
D’autre part un certain nombre de redites alourdissent le récit et les incessants retours sur la nature fusionnelle de la relation des jumeaux, « t’es moi, je suis toi » sont si répétitifs qu’ils finissent par lasser.

J’ai les mêmes réserves pour les personnages, surtout au sujet de la fille dont on ne connaît pas le nom, une sauvageonne tout juste adolescente. Là, on a l’impression qu’on a affaire à une créature diabolique : une gamine fluette qui fout la trouille aux membres les plus aguerris d’un cartel de drogue, une guerrière sans peur et sans pitié dont la réputation a fait le tour des organisations mafieuses. Elle possède une force et une résistance hors du commun, elle connaît toutes les méthodes de survie dans le désert, elle a l’expérience d’un vieil aventurier, la folie de la jeunesse et la sagesse des anciens. Tout ça à 14 ans ! Elle doit garder les souvenirs de ses vies antérieures !

Pour un premier roman on pardonnera ces excès inhérents à la jeunesse et on retiendra surtout l’ampleur qui se dégage de ce livre, à la mesure des grands espaces qui lui servent de cadre. À sang perdu est un roman puissant, qui a du souffle, bénéficiant d’une écriture remarquable mais pas dénué de défauts concernant l’intrigue et la définition des personnages.

Extrait :
Elle se plia en deux et détacha le canidé de son cou, serrant son avant-bras droit contre sa poitrine en s’asseyant au pied d’un des piliers de l’arche, et Smith et Matthew s’assirent en face. Ils n’avaient rien pour faire du feu. La fille sortit son couteau, découpa une longueur en bas de son t-shirt et la noua sur son bras saignant, puis elle tourna le coyote mort sur le dos et lui ouvrit la poitrine de haut en bas pour le vider. Elle laissa le sac d’entrailles tomber sur le côté et ramassa le corps, elle le plia en deux sur son genou et remonta la manche nouée autour de sa bouche, la laissant ainsi en travers de son nez comme un nœud coulant à moitié enfilé. Elle attendit une minute, puis installa la tête du coyote contre ses genoux et plongea son visage à l’intérieur avant de ressortir couverte de sang jusqu’au menton.

Désert de l’Utah

Niveau de satisfaction : 
4 out of 5 stars (4 / 5)

 

 

 

 

 

 

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