Victime 2117 – Jussi Adler Olsen

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2019 (Offer 2117)
Date de publication française : 2020 (Albin Michel)
Traduction : Caroline Berg
Genre : Thriller
Personnage principal : Carl Morck, directeur du Département V de Copenhague

Peu d’écrivains nous arrivent du Danemark. Quand, il y a une dizaine d’années, le premier Adler Olsen est sorti, je l’ai lu avec plaisir et un certain dépaysement, moins à cause du décor que des personnages dont le bourru Carl Morck et surtout l’étrange Assad, arrivé dans le sous-sol vétuste du Département V comme homme de ménage et devenu, mine de rien, un précieux collaborateur de Morck. C’était Miséricorde (2011) et je l’avais coté 4.5. Puis, avec Délivrance (2013), l’effet de surprise était passé, et j’ai mis 4. Enfin, Dossier 64 (2014) s’est mérité 3.5. J’ai laissé passer 6 ans et 3 Enquêtes de Département V. Entre-temps mon collègue Raymond s’était attaqué à Profanation (2012) et l’avait noté 4.

Puis, je me suis laissé tenter par Victime 2117, qui vient d’être traduit : c’est le genre de briques qui convient à un climat de pandémie. Le roman commence par la présentation de 4 personnages : Carl, qu’on connaît déjà, toujours bourru, et d’autant plus anxieux que sa copine Mona est enceinte. Assad, qu’on connaît moins sous cet angle d’homme atterré par la mort des deux frères Bjorn, dont Jess, son mentor. Joan, un journaliste espagnol raté et suicidaire. Alexander, un jeune banlieusard d’une famille aisée de Copenhague, dangereux paranoïaque qui se prend pour un samouraï.

Ce qui relie ces histoires, c’est le naufrage d’un bateau d’émigrés échoués sur la plage d’Ayia Napa à Chypre : une quarantaine de morts, dont la 2117e victime depuis le début de l’année; apparemment noyée, en réalité poignardée. Le journaliste de Hores del Dia, Joan, est sommé de faire enquête. Le solitaire Alexander voit dans la 2117e victime, photographiée dans tous les journaux, le signe que tout va mal en ce bas monde, et s’imagine qu’il doit accomplir un geste, en réalité une spectaculaire tuerie, pour que l’univers le comprenne. Assad, de son côté, croit reconnaître la 2117e victime : Lely Kababi, une syrienne de Sab Abar qui avait recueilli chez elle Assad, sa femme et ses filles quand ils avaient dû fuit l’Irak, il y a plus de 16 ans. Et, sur une autre photographie, il aperçoit ce qui semble être sa femme et une de ses filles, à côté de celui qui avait été son tortionnaire, qu’il avait estropié en se sauvant, et qui lui voue une haine mortelle. Ce qui est d’ailleurs réciproque.

Pendant que Rose et Gordon, à qui Alexander téléphone régulièrement, cherchent à trouver le jeune homme avant qu’il ne réalise son projet de tuer son père, sa mère, et tous les passants qu’il rencontrerait sur son chemin, Carl et Assad s’envolent vers l’Allemagne où auraient été conduits les réfugiés. C’est là qu’ils découvrent un complot terroriste dont les Allemands se souviendraient encore plus que de la fameuse hécatombe du 11 septembre aux États-Unis. Et, à la tête de ce complot, le cruel Ghaalib soutenu par son indéfectible et brutal assistant Hamid. Ghaalib espère, comme bénéfice secondaire, attirer Assad pour exterminer les membres de sa famille devant lui. Il détient, en plus, le journaliste Joan, à travers lequel il lance des avertissements au monde entier, et qu’il oblige à filmer le massacre qu’il est sur le point de commettre.

Aidés par les services de sécurité allemands, Assad et Carl poursuivent une mission quasi impossible; bien organisés, les terroristes semblent toujours avoir un coup d’avance sur eux. Détenir des otages vulnérables et manipuler des extrémistes jusqu’au-boutistes sont des atouts indéniables. Mais les as du Département V en ont vue d’autres…

Scénario pour un bon film américain ou pour une série allemande. Ça se lit assez bien aussi, mais est-ce que ce sont les éditeurs qui obligent les écrivains à forger des briques de 600 pages ? On a beau multiplier les intrigues secondaires, ça devient lassant et on risque de perdre l’intérêt. Peu de problèmes probablement pour ceux qui ont adopté dans leur famille les collègues du Département (comme on adopte la famille Brunetti ou celle de Pitt). Pour les autres, c’est moins facile de s’apitoyer sur les malheurs d’Assad, qui prennent beaucoup de place dans ce bouquin. Et j’ai eu l’impression que l’auteur faisait exprès pour exagérer dans le but de nous garder alertes : Joan voit une « expression si douloureuse qu’il se demande si, de toute sa vie, il avait déjà vu un tel chagrin »; « Assad pleura comme il n’avait jamais pleuré de toute son existence »; « Gordon et Rose se rappelleraient sans doute ce moment comme l’un des plus embarrassants de leur carrière ».

Ce n’est sans doute pas grave en soi sauf que, dans ce cas-ci, ces exagérations, comme ailleurs de beaux hasards, sapent un peu le caractère réaliste qu’on veut donner au récit.

Extrait :
« J’ai attendu ce moment pendant un tiers de mon existence », dit-il en s’écartant du groupe à reculons. Assad se tourna vers lui. Il ne voulait pas voir sa famille au moment où Ghaalib déclencherait les bombes.
Il tenait maintenant le détonateur dans la main gauche et l’Uzi sous le bras. De la main droite, il sortit un téléphone portable de sa poche et pressa une seule touche.
« J’ai une petite surprise pour toi, Zaid. Une mise à mort raffinée, comme je les aime. C’est évidemment de ton exécution dont je veux parler. Tu as échappé au gibet par le passé, mais cette fois sera la bonne. Tu seras fusillé comme tu le mérites, mais pas par moi, car moi je vais me retirer tranquillement. »
Ghaalib continua de reculer en souriant vers la vitrine de l’horloger Fossil, là où se trouvaient toujours Joan et le jeune garçon.
Quand il eut quelqu’un au bout du fil, une expression démente s’afficha sur son visage.
« Allo, Capitaine ? dit-il, les yeux exorbités. Vous êtes en place ? Car nous, ici, nous sommes prêts. Je vois la fenêtre de votre chambre d’hôtel. Jolie vue, n’est-ce pas ? Vous avez bien travaillé, Dieter, j’ai suivi avec intérêt la précision de vos tirs depuis mon poste d’observation à l’étage du restaurant. Quand j’aurai fait sauter les bombes, dans dix secondes, vous l’abattrez, d’accord ? »

Niveau de satisfaction :
4.1 out of 5 stars (4,1 / 5)

 

 

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