Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2019 (Death in focus)
Date de publication française : 2020 (10/18)
Traduction : Florence Bertrand
Genres : Thriller, historique
Personnage principal : Elena Standish
Belle surprise : après avoir fait revivre la Londres de Monk et de Pitt (deuxième partie du XIXe siècle), le Paris de la Révolution française, la Byzance du XIIIe siècle et l’Europe de la 1ère Guerre Mondiale, Anne Perry se concentre maintenant sur l’Italie, l’Allemagne, la France et l’Angleterre de 1933, plus précisément la montée en flèche du fascisme hitlérien. Au centre de tout ça, Elena Standish, jeune photographe, fille d’un diplomate et petite-fille d’un ambassadeur à la retraite qui a vécu un certain temps à Berlin il y a une quinzaine d’années.
Jouissant avec sa sœur Margot de vacances réconfortantes à Amalfi, Elena se voit contrainte à remplir une mission pour laquelle elle n’est vraiment pas préparée : se rendre à son ambassade de Berlin pour avertir l’attaché culturel britannique Roger Cordell que l’ignoble démagogue allemand Scharnhorst était pour être assassiné et qu’on s’arrangerait pour faire porter la responsabilité de ce meurtre sur les Anglais. Voyage qui ne sera pas de tout repos : avant de quitter Amalfi, un cadavre est découvert à son hôtel; puis, dans le train, son nouvel ami Ian Newton est poignardé; à Berlin, les chemises brunes font la pluie et le beau temps; Cordell ne peut pas faire grand-chose pour elle ni pour empêcher l’assassinat de Scharnhorst.
Par-dessus le marché, c’est Elena qui est accusée du meurtre de Scharnhorst. Sa photo est à la Une : difficile de rentrer en Angleterre, elle ne peut même pas quitter l’Allemagne.
Comme c’est le premier roman de la série, Perry prend le soin, et le temps, de décrire les principaux personnages : Elena et sa sœur Margot, leur père Charles, Katherine leur mère, surtout leurs grands-parents Josephine et Lucas. On a droit aussi à un beau portrait d’Hitler et surtout de Goebbels : « Un demi-sourire traversa son visage, comme un rayon de lune sur une tombe »! L’ambiance du Berlin des années 30 est bien rendue également, et je crois que c’est surtout cette période historique qui a attiré Anne Perry dans cette atmosphère. Comme c’est une période qui est assez connue, on aurait pu craindre de s’ennuyer un peu, mais l’auteure nous force à vivre le drame de l’intérieur, des Juifs, par exemple, qui se sentent traqués même s’ils sont allemands, ou de la terreur qu’inspirent les chemises brunes qui font littéralement flèche de tout bois. Est bien décrite également l’ambiguïté des Anglais vis-à-vis d’Hitler. Perry ne tombe pas dans la caricature et nous rend bien conscients de la misère du peuple allemand ravagé par les conditions imposées par les Alliés et de la reconstruction économique et sociale entreprise par Hitler.
Elena (29 ans) semble bien fragile pour un personnage autour duquel toute l’action se déroule; mais le pari de Perry consiste justement à montrer comment le courage et une certaine fierté peuvent devenir des armes bien utiles. Surtout si on est soutenu par une solidarité indéfectible.
Extrait :
Lucas aurait donné cher pour se persuader que l’ascension météorique d’Adolf Hitler ne représentait pas un danger pour l’Europe, encore moins pour l’Angleterre. Mais tous ses sens, tous ses instincts, lui affirmaient que c’était le cas, et que le danger s’accroissait d’une semaine à l’autre. Quatre mois plus tôt à peine, à la fin de janvier, Hitler avait pris les rênes du pouvoir en Allemagne.
De nouvelles idéologies surgissaient partout en Europe dans le sillage des pertes dévastatrices de la guerre. Depuis l’assassinat du tsar de Russie, la peur du communisme nourrissait les idéologies de droite sur le continent. En Italie, après avoir apporté certains changements bénéfiques, Benito Mussolini resserrait déjà son contrôle sur le pays et l’oppression jetait les bases de la folie qu’était la dictature. Lucas avait entendu des histoires qui frôlaient le ridicule mais qui, pourtant, étaient véridiques : les rires seraient de courte durée.
En Espagne, diverses factions politiques se disputaient le pouvoir. Qui savait où cela allait mener ? L’Allemagne, quant à elle, était la source de sa plus grande inquiétude. Le traité signé à la fin de la guerre avait été trop sévère. Des millions de gens qui n’étaient pas responsables de la soif de gloire du Kaiser avaient été punis. Le blâme était futile. Sans doute nul ne pouvait-il y échapper tout-à-fait, ne fût-ce que pour avoir fermé les yeux : non pour son action, mais pour son inaction.
Niveau de satisfaction :
(4,1 / 5)