Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2012 (Libre Expression)
Genre : Enquête policière
Personnage principal : Lieutenant Kate McDougall
C’est le cinquième roman policier de Johanne Seymour qui met en vedette la lieutenant Kate McDougall, reçu avec enthousiasme par quelques critiques. Présidente fondatrice et directrice artistique et littéraire des Printemps meurtriers de Knowlton, comédienne, réalisatrice de courts métrages, Seymour a plusieurs cordes à son arc et elle est connue dans le milieu. Sa série policière date de 2004; plusieurs romans ont été mis en nomination (Ellis, Saint-Pacôme). Je n’ai pas lu les quatre premiers; il est donc possible que quelques allusions m’aient passé sous le nez.
L’inspecteur Paul Trudel, bon ami de McDougall, s’est à peu près remis de certaines de ses blessures et retrouve Kate à l’enterrement d’un de leurs collègues, le sergent Jack Timmins, victime également du sadique Simon Stein, toujours en liberté. Notre policière se préoccupe de la sécurité de Trudel, qui ne peut plus être assurée par la Sûreté du Québec (effectifs déficients, argent…). Or, comme Trudel est le seul à avoir vu le visage de Stein, qui a à sa disposition une bande de néo-nazis, il semble bien qu’il est destiné à se faire assassiner.
Évidemment, Stein, surnommé l’Artiste à cause des esquisses au fusain qu’il laissait sur les lieux de ses crimes, doit aussi se préoccuper de faire prévaloir la suprématie blanche et a besoin d’un certain temps pour martyriser Veronika, sa disciple préférée.
Et puis, on découvre un cadavre momifié dans un marécage. L’enquête est confiée à Kate : ses agents iront chercher des informations et passeront leur temps à éplucher les dossiers. Pendant ce temps, Kate, en sevrage d’alcool, essaie de trouver un certain équilibre émotif et une certaine satisfaction sexuelle avec l’intentionné Sylvio, un Italien comme on les aime bien, mais elle témoigne d’un rare manque de stratégie avec sa fille adoptive, adolescente étouffée de bonnes intentions qui s’efforce de couper le cordon ombilical.
Au milieu du roman, il ne s’est pas encore passé grand chose mais, heureusement, la jeune Élisabeth disparaît, au grand désespoir de Kate, qui ne sait plus à quel saint se vouer.
Trudel retrouve peu à peu la mémoire, mais il a mal à la tête; les policiers établissent un rapport entre la momie et le père de Stein; Stein offre la bonne en cadeau à Veronika; et Kate se morfond dans la culpabilité au point où, au lieu d’être attachante, elle est franchement agaçante.
Coup de théâtre soudain : les catastrophes anticipées vont être enrayées et, par un recul dans le temps bien mené, l’éclairage va jaillir progressivement : tout ce qui avait été jusque là plutôt juxtaposé va maintenant s’imbriquer.
Tout en reconnaissant plusieurs qualités à ce livre, je n’ai pas été emballé. Trop d’irritants : d’abord, le personnage principal m’agace, d’autant plus que l’auteure lui prête continuellement la parole, la plupart du temps des complaintes autoculpabilisantes qui n’en finissent plus. Les personnages secondaires sont presque des ombres, sauf Trudel, Sylvio et Élisabeth. Et puis, ce n’est pas parce qu’on fait des chapitres de 5 pages que le rythme va nécessairement s’accélérer; ça dépend de ce qui s’y passe. Enfin, comme dit Théorin : « Ne racontez pas, montrez! N’écrivez pas ‘il est triste’, mais ‘il baisse la tête’ ». On évite ainsi les introspections statiques, au profit du visuel qui nous happe, qui fait qu’on se sent dedans plutôt que devant.
D’un autre côté, Seymour a du souffle, de l’ambition (il faut le cran d’un JJ Pelletier pour frayer du côté des néo-nazis), et le sens du dénouement (les trente dernières pages sont émouvantes et habilement enchaînées). J’ai alors l’impression que Seymour s’adresse à mon intelligence et à mon sens du jeu (la partie est réussie, car chaque pièce a trouvé sa case), plutôt qu’à ma compassion ou à mon goût du morbide, bien que, je dois admettre, les deux premières pages m’aient agrippé, comme le début d’un roman de Val McDermid.
Extrait :
Il avait élevé le ton. Ce qui n’était pas dans ses habitudes. Mais il voyait Kate s’enliser et il avait besoin de la secouer.
– Penses-tu me soulager?
– Quoi?
– Si notre fille a fait une fugue, c’est à cause de moi.
– Mais…
– Je suis pourrie jusqu’à la moelle, Sylvio. Je suis un cancer pour ceux qui m’approchent.
Sylvio avait marché jusqu’à elle et lui agrippait les épaules.
– Veux-tu arrêter ça? Tu n’as rien fait de mal.
– Si elle ne m’avait pas vue avec Paul…
– Mais il ne s’est rien passé avec lui! Tu étais heureuse qu’il retrouve la mémoire. Tu l’as pris dans tes bras. Ton corps a réagi, c’est tout. Tu as tellement peur de tes démons que tu en inventes. Tu te fais des peurs. Tu voudrais être plus catholique que le pape!
Kate ne dit rien. Elle savait qu’il avait raison. Mais elle n’y pouvait rien. Elle avait besoin d’une réponse, d’un coupable, d’une raison. Elle avait besoin de mettre fin au doute.