Michel Dufour
Date de publication originale : 2013 (Livre de poche)
Genre : historique, enquête
Personnage principal : Quentin Savoisy, filleul d’Escoffier
Michèle Barrière est militante écologiste, journaliste culinaire et écrivaine. Elle appartient au mouvement Slowfood France, qui lutte pour sauvegarder le patrimoine culinaire mondial en s’efforçant de concilier les plaisirs de la table et le respect de l’environnement. Voilà une noble tâche. Je n’avais pas été séduit outre mesure par son Souper mortel aux étuves. Pourtant, je souhaiterais tellement aimer cet auteur ! D’où cette deuxième tentative.
L’action se situe à Paris, fin XIXe, alors que la France se polarise autour de l’Affaire Dreyfus. Les communards ont été écrasés; l’Église et l’Armée consolident le pouvoir politique; socialistes, anarchistes et nationalistes brassent la cage.
Alors que César Ritz est sur le point d’ouvrir les portes de son palace parisien dont les cuisines ont été confiées au grand Escoffier, on fait la malencontreuse découverte du cadavre d’une jeune femme pendue aux crochets à bestiaux dans une chambre froide du Ritz. Pas question d’informer la police : le Ritz n’a pas besoin de cette mauvaise publicité, alors qu’on y attend prochainement les gens riches et célèbres du monde entier. L’enquête est confiée au filleul d’Escoffier, Quentin Savoisy, journaliste gastronomique au Pot-au-feu, jeune oisif amateur des plaisirs de la table et du lit, peu enclin à l’action, malgré une fiancée féministe, Diane de Binville, qui le contraint à tenir compte de certaines réalités; motivé aussi par le besoin de ne pas déplaire à Escoffier, qui fut pour lui une sorte de père de substitution.
Or, ce sont justement les élégants restaurants d’Italie, d’Allemagne, d’Angleterre et de France qui sont visés par des explosions meurtriers. Quentin doit donc aller enquêter à Rome au Grand Hôtel, ouvert en 1895 par Ritz et Escoffier, et qui vient d’être victime d’un attentat. Ça lui permet de relier les explosions au meurtre de la jeune fille du Ritz. Il cerne aussi de plus près le groupe responsable des ces actes terroristes. Diane enquête de son côté et tombe, un peu malgré elle, sur les têtes dirigeantes du complot à Paris qui la capturent.
Séverine, journaliste à La Fronde et amie de Diane, et Quentin entreprendront de la délivrer. Mais les forces en présence ne semblent pas les avantager.
J’aime beaucoup ce Paris fin de siècle où, à défaut d’une vie politique encourageante, le monde artistique innove considérablement (la Tour Eiffel et l’Exposition universelle de 1889, les grands peintres qui remettent en question le réalisme, Debussy et Ravel en musique…); les plaisirs gastronomiques (Escoffier simplifie Carême) comptent aussi pour beaucoup dans l’attrait qu’exerce la Ville Lumière sur les étrangers. C’est ce monde que nous ouvre Michèle Barrière; avec Diane et Quentin, nous sillonnons les petites rues de Montmartre avec plaisir. Un événement comme la naissance du Ritz suscite beaucoup d’émotions chez le lecteur gastronome. Et nous vivons avec joie la création de la pêche Melba et des fraises à la Sarah Bernhardt.
Et l’aspect policier ? Euh !… Il y a bien un meurtre, et même un deuxième, des bombes explosent dans des marmites et entraînent bien des morts; Quentin se déplace pour interroger quelques personnes et parvient même à s’infiltrer dans un groupe suspect. Et on finit par découvrir quelques coupables. Donc, une trame policière est tracée, mais j’ai l’impression que ce n’est pas ce qui compte le plus pour l’auteur. De fait, pour un gros lecteur de polars, c’est reposant : un genre de petite sucrerie inattendue.
Extrait :
Au coin de la rue de la Paix et de la rue des Capucins, quelqu’un lui tapa sur l’épaule. Il se retourna et reconnut le policier de Ritz.
− Que me voulez-vous ? demanda Quentin, surpris et inquiet.
− Armand Vassière, commissaire de police, déclara l’homme avec un grand sourire.
Âgé d’une cinquantaine d’années, de taille moyenne, légèrement corpulent, la mine débonnaire, le commissaire lui inspira immédiatement confiance.
− Faisons quelques pas ensemble, si vous le voulez bien, proposa le policier.
Quentin hésita. Allait-il trahir la promesse faite à son parrain de tenir sa langue ? L’autre s’aperçut de son trouble et lui lança un regard moqueur.
− Je vous envie d’avoir accès aux cuisines d’Auguste Escoffier. Je lui porte une grande admiration. Malheureusement, mon salaire de commissaire ne me permet pas de goûter à ses plats légendaires. Ah ! La dodine de canard au Chambertin, le soufflé d’écrevisses à la Florentine, le sorbet au Cliquot doré, j’en rêve…
Drôle d’entrée en matière, pensa Quentin. Vassière attendait-il de lui une invitation à la table du Ritz ? (…)
− Je suis affecté à la sécurité du Ritz, reprit-il. Vous savez comme moi que les temps sont troublés. On peut à chaque instant redouter des actions criminelles visant les grands de ce monde. Il nous faut redoubler de vigilance. Par chance, le Ritz m’a l’air préservé de ces turbulences. Votre patron m’a expliqué que tout se passait au mieux et que l’ouverture s’annonçait sous les meilleurs auspices. Tant mieux ! Je pourrai profiter en toute tranquillité du luxe et de la volupté d’un palace. Quand je pense à certains de mes collègues infiltrés chez ces ignobles anarchistes, je bénis mon chef de m’avoir confié cette mission. Pendant qu’ils leur courent après dans de sordides galetas, je vais péter dans la soie ! Alors, dites-moi, vous qui êtes dans le saint des saints, que va nous concocter Escoffier pour l’inauguration ?
Ma note : (3,5 / 5)