Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2017 (Québec-Amérique, Nomades)
Genre : Noir
Personnages principaux :
Marnie Duchamp, Bill Richard
Andrée A. Michaud est une des grandes écrivaines québécoises actuelles. Au début de l’été 2014, j’étais président du jury de la Société du roman policier de Saint-Pacôme et, lors d’une rencontre avec les deux autres membres, le brillant écrivain Martin Michaud (aucun lien de parenté avec Andrée) et l’impressionnant comédien Gildor Roy, nous avions discuté ferme pour déterminer les trois meilleurs romans parmi la trentaine de concurrents. Il nous restait quatre ou cinq romans à lire et, même s’il était assez facile de choisir les cinq ou six meilleurs, nous ne nous entendions par sur l’ordre dans lequel nous devions les classer. Après avoir écouté les arguments de chacun, nous avons décidé de terminer nos lectures et de nous réunir de nouveau dans une dizaine de jours. Et alors, avant même de commencer à discuter, nous avons sans hésiter décidé d’accorder le premier prix à Bondrée d’Andrée Michaud, que nous n’avions pas encore lu au moment de notre rencontre précédente et qui venait de nous subjuguer. Expérience rare, surprenante, qui suffit à démontrer les talents de l’auteure.
Rivière Tremblante s’inscrit sous la thématique de la disparition. Comme Bondrée, comme les romans de Coben et comme plusieurs séries télévisées depuis The Killing. Nous sommes dans un petit village, assez semblable à Bondrée, et deux disparitions se produisent à trente ans d’intervalle : d’abord, Michael, douze ans, l’ami de Marnie qui l’a vu disparaître; puis, trente ans après, Billie, enfant de huit ans, fille de Bill et Lucy-Ann, évaporée à la sortie de l’école, à des kilomètres de Rivière Tremblante. Dans les deux cas, on enquête sans résultat.
Aujourd’hui, Marnie, dans la quarantaine, rencontre Bill qui s’est terré dans ce village perdu pour tenter de tout oublier. Survient alors une autre disparition d’enfant, celle de Michael Faber. Marnie et Bill, dont on connaît le passé, sont soupçonnés. L’acharnement et la stupidité des policiers les pousseront presque à l’aveu ou au suicide.
Malgré le processus du décalage temporel, le sujet n’est pas neuf. Ce n’est pas non plus l’alternance entre le récit de Marnie et celui de Bill qui sauve la mise. Mais, peu importe le thème, ce qui compte c’est la façon de le traiter. La force de Michaud est non pas de décrire (de l’extérieur) les deux principaux personnages, c’est plutôt de nous faire entrer dans leur peau. On saisit ainsi le monde de Marnie et celui de Bill de l’intérieur, à partir de leur sensibilité propre, de leurs émotions distinctes et de leur intelligence qui ne s’oriente pas selon les mêmes points de repère. Nous devenons ainsi Marnie et Bill. Michaud met l’accent sur la difficulté de vivre ce genre de disparition, le rejet de Marnie par les villageois et sa solitude, le démantèlement de la famille de Bill, la haine de sa femme, puis la résilience difficile de Bill. Pas de psychologie pour les nuls : Michaud ne nous livre pas d’indigestes élucubrations; elle nous montre des gestes et des comportements et il nous appartient de comprendre ce qu’ils révèlent.
Ce que nous comprenons des comportements des policiers, par exemple, n’est pas flatteur, mais on comprend aussi que la vie des enquêteurs, surtout quand il s’agit d’enfants, est démoralisante et d’autant plus frustrante lorsque les enquêtes n’aboutissent pas. Ceci dit, l’enquête n’est pas au premier plan même si, à travers les personnages de Marnie et de Bill, le souci de retrouver les disparus, et de comprendre leur disparition, ne nous quitte pas.
Ce qui nous prend par-dessus tout, c’est la façon d’écrire et de nous impliquer. La lecture est exigeante : c’est plus qu’un problème qu’il faut résoudre ou un mystère qu’il faut éclaircir. Chaque phrase recèle des surprises, un brin d’humour inattendu, une image poétique savoureuse, un trait d’intelligence rare. Le lecteur ne doit pas chercher à passer à travers le langage; il faut, au contraire, s’y laisser prendre, s’en imbiber. Ce n’est pas un livre fait pour les gens pressés.
C’est peut-être cela la grande littérature : une rencontre entre l’intelligence de l’auteur et celle du lecteur, une coïncidence entre deux sensibilités.
Extrait :
La nuit tombait sur Rivière-aux-Trembles. Dans le cimetière planté d’érables, mon père dormait dans le brouillard soulevé par le redoux des derniers jours, au terme duquel février couvrirait de nouveau le sol d’une couche de glace où se figeraient les cailloux et les bouts de branche sectionnés par le gel. Derrière le cimetière, sur la colline des Loups, stagnait un nuage dont la densité laissait croire qu’il pleuvait sur la colline, seulement là, au milieu des sapins noirs. Les derniers oiseaux du jour finissant lançaient des notes solitaires dans l’air saturé de silence, et moi, je demeurais immobile, à me demander que faire de cette sombre beauté coincée entre la mort et la proche obscurité.
Niveau de satisfaction :
(4,8 / 5)
Pas pour tout le monde, sans doute, mais ceux et celles qui vont l’aimer vont l’aimer fort.
J’attends impatiemment de lire ce roman qui semble avoir tout pour me plaire.