Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2019 (Alire)
Genres : Enquête, thriller
Personnage principal : Henri Dufaux, inspecteur-chef au SPVM
J’ai enfin retrouvé le Pelletier que j’aime.
D’abord à Montréal, puis un peu partout au Québec, les cadavres se multiplient, plus mutilés les uns que les autres : massacre dans ce qui semble être une résidence pour personnes âgées, boucher éviscéré et décapité, dirigeant d’une pharmaceutique ligoté, bâillonné, dénudé, torturé et mourant dans un condo de Griffintown, chef mafieux victime d’une balle en plein front, et ce n’est qu’un début. Entretemps, tentatives d’assassiner Dufaux et saccage de la tombe de sa femme. Quel est le lien entre toutes ces tueries ? On nage en plein mystère. Et la petite équipe de Dufaux, section spéciale de la SPVM, même épaulée par le SCRS et la GRC1, ne suffit pas à la tâche.
Par ailleurs, qui a neutralisé le tueur qui voulait éliminer Dufaux ? Quel est, au juste, le rôle de Boris Becki, journaliste au Spiegel, devenu chauffeur et garde du corps de Dufaux ? Et quel objectif poursuit Marcel Nadeau, chef de cabinet du premier ministre, qui lui conseille de tenir cachés les messages qu’il a reçus du supposé groupe des Ultravéganes ? Alors que la population du Québec est sur le qui-vive, on apprend qu’un bon lot de viandes contaminées a été distribué dans le réseau des boucheries et épiceries de la ville de Montréal. Puis, pour combattre l’inertie du public et l’entêtement du premier ministre à ne pas obtempérer aux demandes des Ultravéganes, un plan est ourdi pour provoquer des centaines de morts. Et, comme les balles ne suffisent pas pour se débarrasser de Dufaux, on passe à la bombe.
Le roman est copieux, mais ce n’est pas l’action qui manque. Ce côté essoufflant est accentué par l’actualité alarmante de l’intrigue : la destruction systématique par les humains de la faune et de la flore, la pollution des eaux, la dévastation des forêts (poumon de la planète), les conditions de vie misérables imposées aux animaux destinés à notre table. Les chiffres communiqués par Pelletier sont hallucinants à un point tel que Dufaux n’est pas loin de donner raison aux Ultras même s’il trouve leurs moyens pédagogiques un peu excessifs. Et même s’il ne comprend toujours pas pourquoi on veut le tuer.
Pelletier prend son temps pour mettre en place le décor et les principaux acteurs. Mais, à un moment donné, on ne peut plus lâcher le récit même si, et peut-être parce que, l’angoisse nous étreint. On se doute bien que la fin de cette histoire ne peut pas être si catastrophique que ça. Même si, dans la vie réelle, le drame est loin d’être fini.
Ce qui rend poignant, aussi, le récit de Pelletier, c’est son cadre réaliste : les rues, les quartiers, les hôtels, les restaurants, les condos de Griffintown, la plupart des Montréalais connaissent ça. Les fonctionnaires emmerdants et les politiciens opportunistes, c’est bien connu également. Et les revendications véganes pour le respect des animaux s’inscrivent tout naturellement dans la lutte contre les changements climatiques et en faveur d’une planète viable. On est tellement sur un terrain familier que les excès des Ultravéganes risquent de nous apparaître comme des gestes fort compréhensibles et, éventuellement, inévitables.
Enfin, c’est bien écrit. Pelletier a le sens des formules : « Si la fin du monde arrive en même temps que le Super Bowl, la nouvelle va passer en titre déroulant pendant les publicités ». Son style de composition a quelque chose d’intrigant : souvent, au début d’un chapitre, on suit quelqu’un sans savoir de qui il s’agit. Il a le don de nous tenir éveillés et curieux. Autre plus : les tweets de certains habitués des réseaux sociaux parsemés ici et là achèvent de nous persuader que nous sommes dans la réalité vraie.
Bref, c’est sûrement un de ses meilleurs romans.
1 SPVM=Service de police de la ville de Montréal; SCRS=Service canadien du renseignement de sureté; GRC=Gendarmerie royale du Canada.
Extrait :
On tue les bélugas
On tue les pangolins
On tue les crotales et les grenouilles
On tue les loris
On tue les marécages
On tue les faons
On tue les paresseux
On tue la douceur
On tue les cœlacanthes
On tue les mainates
On tue les fruits, les fleurs, les feuilles et les branches
On tue les iguanes
On tue les forêts
On tue les éléphants
On tue les aras et le corail
On tue la couleur
On tue les lynx
On tue les faisans
On tue les thons rouges, blancs et jaunes
On tue les hématodes
On tue la rosée
On tue les hémérocalles
On tue les koalas
On tue les rêves
On tue les mésanges
On tue les seiches
On tue les ornithorynques et les termites
On tue les mérous
On tue le sable
On tue les vieux chevaux
On tue les bébés phoques
On tue la tendresse
On tue les girafes
On tue les hirondelles
On tue les chiens et les chats
On tue les bonobos
On tue les prairies
On tue les baobabs
On tue les aigles
On tue la mémoire
Niveau de satisfaction :
(4,6 / 5)