Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2015
(JC Lattès, 10/18)
Genres : Enquête, historique, aventure
Personnage principal : Nicolas Le Floch, commissaire au Châtelet
Comment ai-je pu me priver si longtemps des romans de Jean-François Parot ? J’avais coté 5/5 L’énigme des Blancs manteaux et Le noyé du Grand Canal (publié ici en 2012, et dont je recommande la lecture préalable). Les commentaires élogieux que m’avaient inspirés ces romans sont encore de mise aujourd’hui. L’Inconnu du pont Notre-Dame est son treizième et avant-dernier roman; en 2017 sera publié le dernier, Le Prince de Cochinchine. L’année suivante, Parot s’éteindra pour le grand malheur des amateurs de polars historiques.
L’Inconnu du pont Notre-Dame se passe en 1786. Marie-Antoinette dépense sans compter et s’attire l’inimitié du peuple; le roi Louis XVI est plutôt sympathique mais vraiment mou en général et plus particulièrement vis-à-vis de sa femme à qui il ne peut rien refuser. Les conditions de vie en France dégénèrent et la grogne du peuple s’accroît. Parot nous fait entrevoir les premiers pas qui mèneront à la révolution. Le procès du cardinal de Rohan est un des premiers grands événements qui illustreront d’une part la division entre les factions opposées de la noblesse qui pèsent sur l’avenir de la France et, d’autre part, la séparation entre cette noblesse et le peuple.
C’est dans ce brouhaha que Nicolas Le Floch se retrouvera mêlé à une aventure complexe qui finit par risquer de décapiter prématurément le roi et d’esquinter sérieusement le commissaire. L’histoire commence simplement par le vol d’une médaille précieuse, convoitée par la reine, et la disparition du conservateur du cabinet des médailles. C’est le nouveau directeur de la Bibliothèque du roi, Le Noir, qui informe Le Floch. Le commissaire mènera l’enquête avec son fidèle Bourdeau. Puis, on découvre un cadavre méconnaissable dans une maison démolie du pont Notre-Dame. Cet homme, travesti en femme, pourrait-il être le conservateur du cabinet, Thomas Halluin ? C’est ce que la fouille de son appartement laisse à penser.
Invité au bal de la Reine, Nicolas rencontre Antoinette, la mère de son fils Louis, qui est devenue lady Charwel, et qui vit maintenant en Angleterre, où elle collabore avec le Service Secret français. Au risque de sa vie, elle transmet un message à Nicolas. On en vient à conclure qu’un complot menace le Roi. Un traître du département de la Marine manipulait Halluin qui avait toujours besoin d’argent, transmettait par son intermédiaire des informations aux Anglais, et aurait été assassiné.
Or, le Roi doit justement visiter les chantiers maritimes de Cherbourg. Lieu idéal pour un attentat. Pendant ce temps, l’enquête sur les médailles volées et les deux cadavres difficilement identifiables nous apprend comment on a préparé le complot contre Louis XVI et plusieurs officiers français; et qui en est le principal organisateur. Avant d’obtenir les aveux en bonne et due forme du coupable, le commissaire parvient à savoir où et comment se commettra l’attentat; mais se rendre sur les lieux n’est pas chose facile. Et son combat contre le tueur se termine par une explosion où il perd conscience.
Il y a des romans qu’on lit lentement parce qu’on ne veut pas en sortir. On aime fréquenter les personnages sympathiques comme Bourdeau, Noblecourt, Louis. Et on aime détester les opportunistes et les lâches. Les acteurs sont nombreux, mais une liste suffisante est mise à notre disposition pour qu’on puisse s’y retrouver sans trop de mal. Les intrigues sont compliquées mais, plusieurs fois, un personnage résume la situation pour que les enquêteurs puissent s’y retrouver eux aussi. Ce qui ajoute au plaisir, ce sont les références à Rousseau, à Voltaire, à Diderot, et les rencontres avec le musicien Grétry ou l’écrivain Restif de la Bretonne. Sans parler des aventures gastronomiques, qu’on retrouvera un peu plus tard chez Grimod de la Reynière ou Brillat-Savarin. Ce qui est encore plus impressionnant et qui nous plonge tête la première dans cette histoire, c’est l’écriture du XVIIIe siècle dans laquelle elle est écrite; Parot utilise même ce langage quand il fait parler des gens du peuple. On a l’impression de lire Voltaire ou Rousseau, bienveillante nostalgie de nos années de jeunesse !
Bref, intelligence, culture et joie de vivre constituent des atouts absolument gagnants.
Extrait :
– Alors, Monsieur Nicolas, s’écria le vieux magistrat, c’est un souper à l’italienne et par quoi va-t-il s’ouvrir ?
– Madame et Messeigneurs, dit Nicolas qui portait un plat fumant, je vous annonce des carciofi alla giuda all’uso di Roma.
– C’est-à-dire, précisa La Borde qui avait l’usage des langues, des « artichauts à la juive à la mode de Rome ».
– Et qui nous garantit que c’est vous qui en fûtes l’auteur ?
– Moi, Monsieur le procureur, et ce soupçon m’indigne car l’état de mes mains l’atteste.
Il les exposa, toutes tachées de noir.
– Elles témoignent pour moi. L’inconvénient de l’épluchage de cette fleur.
– Une fleur ? s’exclama Louis.
– C’est la vérité, dit La Borde. Ce que nous dégustons sous le nom de légume n’est que le bouton d’une grosse fleur. Il y a même des contrées où l’artichaut sert de décoration comme nos roses ou nos lilas.
– Et en pourrais-je déguster sans dommage ? demanda Noblecourt d’un ton inquiet.
– Certes, dit Semacgus, je vous l’autorise. Cuit, c’est un aliment sain, nourrissant, stomachique et qui convient aux personnes sédentaires.
– Dieu merci, il parle comme un médecin de Molière !
Niveau de satisfaction :
(4,8 / 5)
et coup de cœur